mercredi 11 avril 2012

La République de l’Azawad : Patrie touarègue ou narco-Etat ? Les risques de somalisation du Nord Sahel

Le Mali évolue-t-il vers un scénario à la soudanaise avec une partition entre nord et sud ? Cette solution est difficilement envisageable SAHEL: La nouvelle poudrière africaine • Trafic d’armes et de drogue, rébellions armées, base de groupes terroristes, prises d’otages, réfugiés, coup d’Etat et mutineries, le Sahel est devenu une poudrière. • La désagrégation s’accélère avec la victoire du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), appuyé par le mouvement touaregislamiste Ansar Dine et des combattants d’Aqmi. Ils contrôlent 50 % du territoire malien, soit près de 1 million de kilomètres carrés, un no man’s land deux fois plus vaste que la France. • Dans cette zone fragilisée depuis longtemps, une partie de l’impressionnant arsenal militaire libyen circule depuis la chute de Kadhafi. • Un péril pour l’Afrique.
04.04.2012 | Courrier international http://www.courrierinternational.com/article/2012/04/04/la-nouvelle-poudriere-africaine Patrie touarègue ou narco-Etat ? 05.04.2012 | Público La révolte au Mali va-t-elle donner naissance à un "narco-Etat", un Etat en faillite, contrôlé par Al-Qaida, dominé par la corruption et le trafic de drogue ? C'est la question que pose le quotidien portugais, qui donne la parole à un expert pour qui "on n'assiste plus à une révolte indépendantiste contre une armée en fuite, mais à une lutte opposant des Touaregs 'laïques et démocratiques' à des 'criminels islamiques', recrutés par les services secrets algériens pour garantir un trafic de drogue multimillionnaire dans la région". http://www.courrierinternational.com/breve/2012/04/05/patrie-touaregue-ou-narco-etat « La République de l’Azawad » : Entre clivages et dissensions, laïcité et intégrisme. Les vainqueurs ont du mal à savourer leur écrasante et fulgurante victoire sur les forces loyalistes. Dès dimanche, jour de la prise de Tombouctou, les rivalités et querelles, vieilles ou nouvelles, ont ressurgi entre les protagonistes, et risquent d’aboutir à de violents affrontements entre eux. Iyad Ag Ghali Le Mali évolue-t-il vers un scénario à la soudanaise avec une partition entre nord et sud ? Cette solution est difficilement envisageable. Même si, il y a cinquante deux ans seulement, le Mali s’appelait encore Soudan, le nord malien est habité dans sa quasi totalité par des populations sédentaires et nomades fortement attachées à l’intégrité territoriale et à la cohésion sociale dans un ensemble national. Et un référendum d’autodétermination suffira largement à prouver que ces communautés tiennent plus à leur nationalité malienne qu’à une hypothétique et illusoire identité azawadi. De même qu’à l’islam modéré que pratiquent toutes ces communautés. Mais force est de reconnaitre que depuis le 1er avril, la cohésion sociale et l’unité nationale sont soumises à rude épreuve par l’implication armée de groupes non-étatiques. Lesquels ont pris le contrôle total des trois régions du nord avec des desseins qu’ils sont seuls à nourrir. Qui sont ces acteurs non gouvernementaux, que veulent-ils, quels sont leurs moyens, vont-ils s’entendre ? Les 30 et 31 mars et le 1er avril, une grande offensive conjointe a permis aux bandits armés de mettre en déroute dans le nord l’armée du capitaine Sanogo et d’occuper les régions de Kidal, Gao et Tombouctou. Cet assaut final a été mené par différentes entités dont le Mnla et Ansar Eddine à Kidal, le Mnla et des mercenaires revenus de Libye à Gao, le Mnla et des milices arabes à Tombouctou. L’offensive conjointe avait pour objectif d’abattre un ennemi commun. Mais une fois ce but atteint, les divergences internes n’ont pas tardé entre les différents protagonistes. Il y a d’abord le Mouvement national de libération de l’Azawad. Le Mnla rêve d’une république à instituer sur le territoire, en ce qui concerne le Mali, des trois régions du nord. Il est composé de radicaux non convertis des MFUA (Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad) regroupés en Mna (Mouvement national de l’Azawad), d’intégrés déserteurs de l’armée, de la sécurité et de l’administration, de résidus de la bande à Bahanga, de revenants de la Libye, de jeunes désœuvrés de la zone. Ses revendications sont politiques mais s’inscrivent dans l’instauration d’un Etat indépendant et laïc. Cette option, semble-t-il, n’était pas partagée par tous. D’où la défection d’une importante frange du Mouvement qui succombé aux chants de sirènes d’Ansar Eddine. Cependant, le Mouvement a été renforcé, le 30 mars, par le ralliement d’El hadj Gamou, un berger ou ânier intégré dans l’armée au sein de laquelle il est parvenu jusqu’au grade de colonel-major, qui venait de déserter pour rejoindre la rébellion avec sa force delta estimée à quelques 350 hommes. Désormais, lui et ses hommes sont sous les ordres de Mohamed Najim, un ancien vendeur de dattes reconverti dans le mercenariat en Libye où il a pris du galon, avant de revenir combattre son pays. Il serait à la tête de 2000 à 2500 hommes. Il y a ensuite Ansar Eddine, un mouvement intégriste qui, lui, rêve de transformer tout le Mali en une république islamiste basée sur le jihad et la charia. Né et développé dans la région de Kidal dont est originaire son fondateur, Iyad Ag Ghaly, Ansar Eddine veut profiter de la rébellion pour se propager dans le reste du pays. A signaler qu’Iyad est également ce berger ou ânier qui est à l’origine de la rébellion des années 1990. Il avait été récupéré par l’administration qui en avait même fait un diplomate en Arabie Saoudite d’où il a été renvoyé en raison d’activités criminelles liées aux trafics de drogue et d’alcool. Revenu au pays depuis quelques années, il a continué à bénéficier de la haute protection et de la grande largesse de l’Etat, jusqu’à ce qu’il tombe en disgrâce grâce à la vigilance des services de renseignement occidentaux qui ont décelé ses liens étroits avec des groupes terroristes. Iyad rêve également de déposer le vieil Intallah, chef de la communauté Ifoghas de la huitième région, afin de lui succéder. Mais depuis quelques temps, le leadership d’Iyad sur ses 250 à 300 adeptes est menacé en raison, d’une part de ses prétentions à usurper la chefferie traditionnelle, d’autre part, d’une vieille rivalité entre Ifoghas et Idnans. Au cours de la rébellion de 1990 déjà, il y a eu des affrontements sanglants entre ces deux tribus, notamment à travers le MPA (mouvement populaire de l’Azawad) déclencheur de l’insurrection, et ses dissidences, ARLA et FPLA. Les mêmes risques existent depuis qu’Iyad, qui se prend très au sérieux comme chef religieux et jihadiste, a lancé une fatwa sur la tête du colonel Gamou, Idnan et empêcheur de prêcher en rond du temps où il était encore dans l’armée. Dans son entreprise criminelle, le petit berger ou ânier de Kidal pourrait être soutenu par Aqmi (Al Qaeda pour le Maghreb islamique). Divisée en plusieurs cellules dont les plus importantes sont dirigées par Abou Zeid et Moctar Belmoctar, la branche maghrébine d’Al Qaeda, le plus grand réseau de terroristse au monde, est le fruit d’une longue évolution. Qui va du FIS (Front islamique pour le salut), un parti à connotation religieuse auquel les autorités algériennes ont volé sa victoire aux municipales en 1989-1990, au GSPC (groupe salafiste pour la prédication et le combat), en passant par les GIA, des groupes islamistes armés que chacun (essentiellement l’armée, les services spéciaux, les services de renseignement, l’opposition, des généraux indépendants) manipulait selon ses intérêts et qui ont fait du no man’s land malien leur base arrière contre leur cible principale : l’Algérie. Pour atteindre ses objectifs, Aqmi est devenue une entreprise multinationale d’économie criminelle bâtie sur l’enlèvement d’otages occidentaux, le narcotrafic, le trafic d’armes et la contrebande de produits divers. Mais le petit berger de Kidal aura plus de mal à rallier à sa cause les milices arabes, en raison également de vieilles rivalités entre Arabes et Touaregs. Cela date de très longtemps, notamment dans la région de Tombouctou et dans le cercle de Bourem où les heurts étaient devenus fréquents entre les deux communautés. On se rappelle que dans les 90, le FIAA (Front islamique arabe de l’Azawad) a été le dernier mouvement à déposer les armes, en raison de mésentente entre lui et les autres Mfua. Prônant un islam très modéré, ces milices populaires, qui ont travaillé avec l’armée et le colonel-major Mohamed Ould Meidou, ont toujours été fidèles au général président de la République, Amadou Toumani Touré. Elles n’ont changé de camp qu’après le 22 mars pour négocier la reddition de la ville avec le Mnla. Cependant, les rangs des intégristes, estimés présentement à 300-350 éléments, pourraient grossir à la faveur de l’afflux massif de tous les islamistes de la planète. Dans ce vaste nord, ils trouveront le sanctuaire tant recherché et qu’on leur refuse ailleurs, d’où ils sont toujours chassés ou tués. Et, en effet, il est prouvé qu’aujourd’hui, AQMI est la mieux organisée et sécurisée de toutes cellules d’Al Qaeda. Aussi ils afflueront de Somalie, du Nigéria, d’Afghanistan, du Pakistan, d’Irak, d’Iran et de tous les pays du Maghreb pour occuper le septentrion malien. Et à ce moment, l’Occident, l’Algérie et la Mauritanie pourraient vraiment trembler et pleurer sur le sort. Parce que ceux qu’ils ont aidés à conquérir l’Azawad ne pourraient plus les arrêter. Pire, ils seront étouffés au mieux et anéantis au pire. Aujourd’hui, dans les principales villes du nord, malgré leur action conjointe, le clivage idéologique, politique et ethnique se sent nettement entre ces différents groupes. A Gao, Kidal, Tombouctou et Tessalit, les éléments du Mnla sont peu visibles en ville où leur drapeau est déchiré ou brûlé par leurs partenaires occasionnels, se contentant de garder les aéroports et les camps éloignés de la ville. Est-ce une manière stratégique d’empêcher Iyad et ses amis terroristes et criminels d’utiliser ces aéroports par les avions de la flotte « Air Cocaïne » pour financer leur jihad et leurs appétits? En tout cas peu nombreux, ils auraient du mal à imposer aux Touaregs une religion intégriste. Cheick Tandina Les risques de somalisation du Nord Sahel et les enjeux de l'aide française Le Monde.fr | 05.04.2012 à 09h21 • Mis à jour le 05.04.2012 à 09h21 Par Philippe Hugon, directeur de recherche à l'IRIS, membre de l'Académie des sciences d'Outre-Mer L'article de Serge Michailof paru dans Le Monde.fr du 29 mars traite d'un sujet essentiel, hélas peu présent dans la campagne présidentielle française ou dans l'actualité malienne mettant en avant le putch et l'impasse dans laquelle se trouve la junte, celui de l'affectation de l'aide française et des enjeux stratégiques concernant le Nord du Sahel en Afrique de l'Ouest. Il s'agit d'une des zones les plus vulnérables de la planète pouvant conduire à une situation proche de celle de l'Afghanistan. Alors que la France a de nombreux intérêts politiques, miniers, linguistiques, Serge Michailof nous rappelle que l'aide affectée au monde rural des 5 pays francophones du Sahel, membres de la zone franc pour 4 d'entre eux, s'élève en moyenne annuelle à 14 millions euros sont 1,4 millième de l'aide officielle (10 milliards euros) et 2,3 millième de l'aide effective de 6 milliards euros (compte tenu des mesures en trompe l'œil). Ces chiffres montrent avec évidence que l'aide demeure affectée en fonction d'intérêts économiques défendues par le ministère des finances, diplomatiques privilégiant un soutien à l'aide multilatérale ou militaires liés aux coût des interventions par exemple en Libye. Les priorités énoncées par la politique d'aide française ne sont conformes ni aux intérêts des populations africaines ni aux enjeux stratégiques pour la France. Au lieu d'anticiper les facteurs crisogènes et les conflits, les interventions se font ex post par l'aide humanitaire et par les interventions diplomatiques et ou militaires. L'arc saharo-sahélien a tous les ingrédients pour que les crises actuelles observées au Mali prennent de l'ampleur. La violence au Nord est au cœur de la mutinerie devenue putch avec accusation de laxisme voire de connivence dupouvoir politique et militaire vis-à-vis des mouvements rebelles. On observe la conjonction d'une explosion démographique, des effets climatiques et de la sécheresse, des trafics de toute nature (cocaïnes, automobiles, prises d'otages, armes), des conflits armés (diverses Katibas Aqmi, mouvements touaregs notamment du MNLA), d'enjeux miniers, s'ajoutant aux grandes vulnérabilités des populations et à des tensions ancestrales (entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades, entre descendants de razzieurs et de razziés). La chute du régime de Khadafi a mit le feu aux poudres par le retour des migrants et des mercenaires disposant d'armes lourdes. On note en 2012 un déficit céréalier etfourrager au Sahel avec une baisse de la production de 9% par rapport à 2011. Les assèchements conduisent à une transhumance précoce. 5,7 millions de personne ont besoin d'une assistance immédiate et 15 millions sont en situation d'insécurité alimentaires (réunion du CILSS, FAO, PAM, Fesnet 13-15 mars). Les zones saharo-saheliennes souffrent d'une insuffisante maîtrise de l'eau, de faibles liens entre agriculture et reboisement ou entre agriculture et élevage (cultureattelée, gestion des puits). Les infrastructures de communication sont insuffisantes. Les populations ont un encadrement insuffisant et une défaillance des servicespublics et des administrations territoriales (sécurité, enseignement, alimentation...). Les drames humanitaires sont accrus par les afflux de réfugiés (172 000 dont 82 000 sur le sol malien et 90 000 dans les pays voisins, Burkina Faso, Niger, Algérie, en mars 2012), de déplacés, de désorganisation de la production et d'impossibilité de fonctionnement des actions humanitaire et de la coopération décentralisée. A ces vulnérabilités des populations et mouvements Touaregs s'ajoutent les risques de renforcement d'Aqmi qui menace directement les intérêts français par les prises d'otages, les attentats, la remise en cause des intérêts miniers. A priori, les liens semblent difficiles entre les salafistes djihadistes d'Aqmi et les Touaregs berbères, rattachés à l'école malékite, ouvert au soufisme des confréries Tidjanyiaou Kandinya et matinés d'animisme. Il est avéré toutefois qu'Aqmi a recruté des Touaregs, que la mouvance Ag Ghabi est lié à Aqmi et que les espaces où sévit Aqmi sont les mêmes que ceux où se déploient les Touaregs et la région Adrar des Ifaghas est un sanctuaire pour certaines katibas. Des connivences d'intérêts existent dans le contrôle des trafics de cocaïnes ou d'armes. Un plan Marshall pour le Sahel préconisé par Serge Michailof doit être mobilisé. Il ne peut être efficient qu'en étant lié au réinvestissement des ressources nationales vers les zones fragiles. Il doit s'appuyer sur les dynamiques des acteurs localisés et des équilibres complexes entre la soutenabilité écologique et la prise en compte de l'environnement, l'équité sociale et la compréhension des structures sociales et l'efficacité économique et les soutiens aux tissu économique et filières de production. Il faut ainsi s'appuyer sur les savoirs locaux par exemple des pasteurs ayant une connaissance intime de la nature mais ayant besoin de mobilité et d'accessibilité à l'eau. Une politique alternative de l'aide doit s'attaquer aux racines de ces crises, répondre aux attentes des jeunes, sauvegarder l'environnement, développer l'enseignement et la santé. Elle suppose d'agir par des programmes d'ampleur mobilisant les bailleurs de fonds avec un rôle d'effet de levier de la l'aide française mais également des approches locales s'appuyant sur l'ensemble des acteurs (ONG, collectivités territoriales, acteurs privés..) avec appui à la coopération décentralisée. Les actions humanitaires et la coopération décentralisée ne sont pas aisées dans un monde insécurisé. Les actions les plus faciles d'aide concernent immédiatement les appuis aux réfugiés dans les camps des pays voisins. La coopération décentralisée doit évidemment, en situation de conflits, s'appuyer davantage sur les cadres locaux et agir à distance par les réseaux d'information ou les envois de fonds, l' e enseignement, les envois de manuels, les incitations à élaborer des projets entre secteur privé, collectivités territoriales et ONG. Ce qui est en jeu c'est une reprise des projets de développement de la base et des actions de l'administration territoriale avec une connaissance fine des zones arides et créant la possibilité de mettre en place des politiques publiques territoriales. Les solutions militaires sont toujours vouées à l'échec si elles ne s'attaquent pas aux causes profondes des conflits armés. Il parait urgent, comme le rappelle Serge Michailof, qu'il y ait une réorientation de l'aide française et une politique de développement dans les zones les plus marginalisées. Cette question n'est pas seulement fondée sur des objectifs humanitaires mais sur des enjeux stratégiques vis-à-vis desquels les responsables de Bercy contrôlant l'essentiel de l'aide et les responsables politiques français paraissent bien irresponsables. Philippe Hugon, directeur de recherche à l'IRIS, membre de l'Académie des sciences d'Outre-Mer Le nord du Sahel a besoin d'un plan Marshall pour sortir de la violence Le Monde.fr | 29.03.2012 à 09h26 • Mis à jour le 29.03.2012 à 09h26 Par Serge Michailof, chercheur associé a l'IRIS, professeur à Sciences Po et consultant pour la Banque mondiale Les troubles qui ont débuté le 21 mars attestent de la dégradation générale de la situation au Mali. L'enlèvement de deux de nos compatriotes le 24 novembre dans ce pays faisait alors suite à une série d'enlèvements de ressortissants occidentaux au Niger et en Mauritanie. Tout le nord du Sahel est devenu une zone grise où les déplacements sont très dangereux. Or l'effondrement du régime Kadhafi et le reflux des anciens mercenaires issus de ces régions ont provoqué une catastrophique accélération. Le 24 janvier, 70 jeunes militaires maliens faits prisonniers étaient massacrés par des rebelles lors de la reddition de leur garnison. Les villes de Ménaka et Tessalit, au nord du Mali, sont tombées il y a peu. Quelque 120 000 réfugiés ont fui les zones de combat. Le président malien, dont les troupes se replient appelait au secours dans une interview (Le Figaro le 15 mars) : les insurgés disposent d'armements lourds, de moyens de transmission modernes, de missiles SAM7. Ils auraient établi des liaisons avec les groupes de Al-Qaïda au Maghreb Islamique. L'analogie avec l'Afghanistan, évoquée par le quotidien algérien El Watan ne doit plus être prise à la légère pour au moins trois raisons : Dans le nord Sahel, tout comme en Afghanistan, les administrations locales sont défaillantes, l'économie rurale frappée par la sécheresse est en ruine. Rappelons que la population des trois pays, Mali, Niger et Burkina Faso va presque tripler d'ici 2050, passant de 44 à 125 millions. Il importe dans un tel contexte de ne pas répéter les erreurs commises en Afghanistan, où l'on a privilégié une réponse sécuritaire confiée à des forces étrangères et répondu trop tard au formidable besoin d'Etat et de développement rural par une aide insuffisante et désorganisée. Au-delà de la nécessaire restauration de l'Etat de droit au Mali, une réponse militaire est nécessaire au Sahel et il faudra pour ce faire renforcer les armées nationales. Mais cette réponse militaire devra déboucher sur des négociations et s'accompagner de programmes de développement de grande ampleur. De tels programmes ne sauraient se concentrer sur les seules zones d'insécurité où leur efficacité est limitée, mais couvrir le monde rural sahélien. Faute de réformes et d'investissements, l'agriculture sahélienne est marginalisée. Or beaucoup peut être fait, au sud pour relancer la culture des céréales et du coton, promouvoir la culture attelée et exploiter le potentiel des grands fleuves, au nord pour ouvrir des pistes, aménager les bas-fonds, organiser le retour de l'eau par des travaux de terrassement, réhabiliter l'économie fragile des oasis,organiser la transhumance. Beaucoup doit aussi être fait pour restaurer l'Etat en milieu rural en décentralisant, réformant les administrations territoriales, professionnalisant les gendarmes, améliorant le fonctionnement des servicessociaux! C'est donc d'un plan Marshall dont ont besoin les pays sahéliens ! Face à l'aggravation au Sahel, la France est aux premières loges et nos centres de rétention ne suffiront pas. Heureusement la France, avec 10 milliards d'euros d'aide publique au développement est le 3e donateur au monde. Il est donc grand temps de déverser les milliards de notre aide sur le Sahel. Mais surprise, notre aide bilatérale destinée au monde rural des cinq pays du Sahel n'a représenté, en moyenne depuis trois ans, que 14 millions d'euros par an, soit 1,4 millième de notre aide globale. Deuxième surprise, il semble bien s'agir là du maximum de ce que nous pouvons dégager, compte tenu des multiples autres engagements. Il est temps d'arrêter cette mascarade. Certes nos 10 milliards d'aide sont en partie fictifs. Mais même dégonflés des annulations de dettes et autres habillages statistiques, il reste plus de 6 milliards d'euros. Le malheur est que 4 milliards transitent par les organisations multilatérales, dont beaucoup ont fait la preuve de leur inefficacité ; or le reste est consenti sous forme de prêts et donc inadapté pour aider le monde rural sahélien. Ces choix étonnants ont été faits sans que les instances politiques, de droite ou de gauche, de par l'opacité des statistiques, n'aient jamais pu se prononcer en connaissance de cause. Or ici les choses changent. Depuis deux ans, cinq rapports parlementaires ont dénoncé ces aberrations. Ils soulignent que ces choix privent notre aide bilatérale des ressources en subventions, qui seules sont adaptées aux besoins des pays les plus pauvres. Ils remarquent que ces choix sont d'autant plus malheureux, qu'ils nous empêchent d'orienter l'action des multilatéraux par le seul moyen efficace que sont les co-financements. Soyons maintenant sérieux : il faut investir au moins 1,5 milliard d'euros par an pendant dix ans pour relancer le développement rural du Sahel. Il est possible demobiliser ces ressources auprès des grands multilatéraux. Mais ces derniers ont d'autres préoccupations, car les Objectifs du millénaire qui leur servent de boussole ont oublié le développement rural ! Il faut donc que la France donne l'exemple et prenne la tête d'une vaste coalition. Mais il lui faut pour être crédible, mettre elle-même sur la table au minimum 20 % du montant nécessaire, soit 300 millions d'euros par an. C'est moins que ce qu'elle met sur le seul fond mondial de lutte contre le sida, thématique qui a mobilisé en 2011 plus de 7 milliards de dollars au plan international. Ces 300 millions représenteraient moins de 5% du montant de notre aide effective. Qu'attendons-nous pour procéder à des arbitrages courageux ? Si ce type d'arbitrage est interdit au ministre de la coopération par Bercy, la suppression de ce ministère, en ce cas inutile, permettrait au moins de financer une partie de la somme requise...
Serge Michailof, chercheur associé a l'IRIS, professeur à Sciences Po et consultant pour la Banque mondiale http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/29/le-nord-du-sahel-a-besoin-d-un-plan-marshall-pour-sortir-de-la-violence_1676940_3232.html "Si on veut changer le monde, il faut changer la société, si on veut changer la société, il faut changer les hommes, si on veut changer les hommes, il faut leur donner envie de changer" A. Einstein

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