jeudi 12 avril 2012
Commission AE de l'Assemblée Nationale Française sur la situation au Mali
Commission des affaires étrangères
Mardi 6 mars 2012
Séance de 9 h 30
Compte rendu n° 44
Présidence de M. Axel Poniatowski, président
– Examen du rapport d’information sur la situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne (MM. François Loncle et Henri Plagnol, co-rapporteurs)
– Nomination de deux députés au Conseil d’administration de CampusFrance
Examen du rapport d’information sur la situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne
La séance est ouverte à neuf heures trente.
M. Henri Plagnol, co-rapporteur. Le travail dont nous vous rendons compte ce matin porte sur l’un des sujets les plus graves auxquels notre pays est aujourd’hui confronté, puisqu’il touche non seulement nos intérêts dans cette région du monde, mais aussi, malheureusement, nos concitoyens dont plusieurs ont été tués ou sont encore retenus en otage. C’est donc un sujet en premier lieu douloureux, et nous ne pouvons entamer cette présentation sans avoir une pensée pour les victimes et leurs familles. C’est aussi un véritable problème d’Etat, une menace très concrète qui touche à la paix et aux intérêts géostratégiques de la France. Il faut essayer d’y apporter une réponse diplomatique à laquelle la France n’est pas seule partie prenante : à problématique régionale complexe, réponses régionales et coordonnées.
C’est aussi un sujet d’une brûlante actualité, en témoignent la puissante rébellion touareg depuis quelques semaines et l’attentat de Tamanrasset ces derniers jours, fortement symbolique, puisqu’il s’agit de la ville même dans laquelle l’état-major régional anti-terroriste est basé.
Pour ce travail, nous avons auditionné un grand nombre de personnalités et d’experts de la région et nous nous sommes rendus dans les différents pays concernés : le Mali, la Mauritanie, le Sénégal et l’Algérie. Nous n’avons pu nous rendre au Niger mais nous avons rencontré le Premier ministre à Paris et François Loncle s’est également rendu au Burkina Faso, qui est un acteur régional important sur ces questions.
Le Sahel est une région immense, couvrant une zone de Brest à Brest-Litovsk et d’Oslo à Madrid, qui rend très complexe l’éradication du terrorisme car le contrôle de l’espace territorial est lui-même très difficile. C’est une région d’une extraordinaire fragilité, notamment marquée par un climat hostile, très dur. Trois pays sont tout particulièrement concernés par AQMI : le Niger, le Mali et la Mauritanie. Ils ont tous les trois les indices de développement parmi les plus faibles : le Niger est au 186e rang sur 193 pays membres de l’ONU, le Mali au 175e et la Mauritanie au 159e rang. Sans entrer dans le détail statistique, je dirai simplement que la mortalité infantile touche 20 % des enfants de moins de 5 ans au Mali où l’espérance de vie est de 51 ans.
Les pays sahéliens ne disposent pas des meilleurs atouts et leurs perspectives de développement sont considérablement contrariées par une démographie trop forte, qui portera la population de l’ensemble de la bande sahélienne à quelque 150 millions d’habitants d’ici à 2040. Le Niger et le Mali sont les deux pays dont le taux de fécondité est le plus élevé au monde : 7,2 enfants par femme au Niger, à comparer au fait qu’il faudrait être sur une tendance de 2 enfants par femme pour que l’Afrique soit peuplée de 1,8 milliard d’habitants en 2050.
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que la région sahélienne dans son ensemble ne soit pas autosuffisante et souffre de sous-alimentation chronique, que la sécheresse et la désertification croissantes depuis plusieurs décennies entretiennent. Elles ont d'ores et déjà eu des conséquences tragiques sur les populations nomades. Il résulte de ces aspects des défis socio-économiques considérables, que ce soit en terme de bouches à nourrir, de services à fournir par l'Etat, en termes d’urbanisation, de santé, de scolarité ou de créations d’emplois : en 2030, 670 000 jeunes entreront sur le marché du travail chaque année au Niger. En d'autres termes, il s’agit d’une région dans laquelle les handicaps sont majeurs et pour lesquels les perspectives de développement sont des plus sombres. Même si l’on a mis l’accent surtout ici sur le Niger qui cumule tous les records, les autres pays ne présentent pas des perspectives bien meilleures.
Mais la fragilité de la région sahélienne ne se limite pas à son retard et ses difficultés économiques. Au cours de nos travaux, nous avons également fait le point sur les multiples facteurs d’instabilité qui affectent le Sahel et concourent à sa fragilité.
Le premier de ces facteurs d'instabilité réside dans les nombreuses convoitises que suscite le riche sous-sol de la région. Pétrole, gaz, fer, phosphate, étain, uranium, or, bauxite… La pauvreté des pays du Sahel est bien paradoxale. Ces ressources, abondantes, sont encore loin d'être toutes exploitées voire recensées. Lorsqu'elles le sont, elles ne profitent pas à la population. Prenons le cas du Niger, par exemple. Sa richesse ne se limite pas au seul uranium, dont il est le 2ème producteur mondial. Du pétrole y est également présent et des projets sont en cours avec des sociétés chinoises pour son exploitation. Le contrôle des lieux de production et de circulation des ressources est un enjeu majeur. Une « géopolitique des tubes » se dessine jour après jour, dans le but de sécuriser les couloirs d’approvisionnement en matières sensibles, énergétiques et minérales. Cela créée des tensions, par exemple, entre les Etats-Unis et la Chine. Quant à l’Europe, elle s’intéresse vivement aux projets de pipelines trans-sahara.
Le deuxième facteur d'instabilité du Sahel est au cœur de l’actualité : il s’agit de la question touareg. Notre rapport retrace l’histoire tragique de ce peuple aujourd’hui à cheval sur cinq pays : le Mali, le Niger, l’Algérie, la Libye et le Burkina Faso. Un sentiment de trahison prédomine depuis longtemps dans l’esprit des Touareg. Les Etats africains mais aussi occidentaux n’ont pas tenu leurs engagements à leur égard. Les indépendances du début des années 60 n’ont pas empêché la remise en cause des modes de vie traditionnels tout comme la sédentarisation forcée de nombreux Touareg dans les années 70. Depuis le 17 janvier dernier, une nouvelle rébellion a éclaté au Mali, quelques semaines après la création d’un mouvement touareg indépendantiste : le MNLA, acronyme de « mouvement national de libération de l’Azawad » (l’Azawad étant la partie septentrionale du territoire malien). Ce soulèvement, que l’armée malienne a beaucoup de mal à combattre, doit beaucoup au retour de mercenaires ayant combattu dans les troupes du colonel Kadhafi, allié traditionnel des Touareg depuis le milieu des années 70. Ces combattants ont fui la révolution libyenne mais ne sont pas revenus les mains vides, emportant avec eux leurs armes et une grande expérience militaire. Les conséquences de cette nouvelle rébellion sont potentiellement catastrophiques. Outre les tensions qu’il provoque au sein de la société malienne, ce soulèvement a d'ores et déjà déplacé près de 130.000 réfugiés vers les pays voisins – notamment le Niger, la Mauritanie et le Burkina Faso – menaçant sérieusement la stabilité de ces derniers. La France peut avoir un rôle à jouer dans cette crise, comme médiateur entre les différentes parties. Nous disposons encore d’une certaine aura auprès des Touareg. Certes, nous sommes l’ancienne puissance coloniale mais la France a fait beaucoup pour mieux faire connaître leur culture. Je ne vais pas rappeler les grands souvenirs historiques mais évoquer une anecdote : lors de notre déplacement à Alger, François Loncle et moi-même avons rencontré des députés touareg qui, avec une grande émotion, nous ont témoigné l’espoir qu’ils plaçaient dans notre pays.
Le troisième facteur d'instabilité du Sahel est sa perméabilité à de multiples trafics illicites. Trafic de cigarettes, d’armes, d’être humains mais aussi de drogue. Depuis quelques années, le Sahel est devenu une plaque tournante pour le trafic de stupéfiants puisqu’il a pour atout d'être situé aux portes de l’Europe – le premier marché mondial – mais aussi d'être moins dangereux que les routes plus directes entre les zones de production d'Amérique latine et notre continent. Une anecdote illustre pleinement l’importance de ce trafic et l’incapacité des Etats sahéliens à y faire face : l’affaire dite du « Boeing d’Air Cocaïne ». En novembre 2009, un vieux Boeing, venu du Venezuela, a atterri en plein désert, dans le nord du Mali. Déchargé de la cocaïne qu’il transportait, l’avion, qui s’était embourbé, n’a pu redécoller et les trafiquants y mirent le feu. Cet épisode montre la complicité qui s’est établie entre les milieux de la drogue et politique et le risque d’une dérive vers des narco-Etats.
Quatrième et dernier facteur d'instabilité du Sahel abordé par notre rapport : la crise libyenne. Comme je l'ai précisé lorsque j'ai évoqué la question touareg, cette crise a eu un effet très déstabilisateur en facilitant la reprise de la rébellion au Mali, en janvier dernier. Mais elle a également eu pour conséquence de transformer la Libye en arsenal géant à ciel ouvert, ce qui a conduit à la dissémination d’armements les plus divers sur tout le continent. Un type d’arme est particulièrement inquiétant. Ce sont les « manpads », c'est-à-dire les missiles sol air portable. Nous avons pu constater, au cours de nos travaux, que les services de renseignement occidentaux y attachent une grande importance et essayent de retracer leur parcours. Il n’en demeure pas moins qu’ils constituent une menace sérieuse pour l’aviation civile et que des mesures sont prises pour minimiser les risques dans les phases les plus délicates des vols que sont les décollages et les atterrissages. Lors de notre déplacement en Algérie, les autorités locales ont, elles aussi, exprimé leur inquiétude face aux « manpads » et n’ont pas manqué de critiquer l’intervention en Libye.
Vulnérable parce que pauvre et instable, le Sahel est confronté à une menace supplémentaire dont il n’avait certainement pas besoin : Al Qaida au Maghreb islamique, AQMI. Cette organisation terroriste est l’héritière du GIA et du GSPC algériens. Comme vous aurez l’occasion de le lire dans notre rapport, AQMI est officiellement né le 24 janvier 2007 lorsque le GSPC choisit de s’appeler ainsi. Quelques mois auparavant, le 11 septembre 2006, le GSPC avait officiellement prêté allégeance à Oussama Ben Laden et à Al Qaida. Le changement de nom de janvier 2007 est venu couronner l’évolution de la mouvance terroriste algérienne vers le djihad mondial.
AQMI, cependant, n’a pas su répondre aux espoirs que la maison mère, Al Qaida, avait placés en lui. Il a subi de lourdes pertes dans le nord de l’Algérie, sa base historique. Il s’est également révélé incapable de mener des opérations sur le continent européen. Le Sahel est donc naturellement apparu comme la seule alternative pour concrétiser les aspirations internationales d’AQMI. Cette organisation terroriste y est représentée par deux katibas, c'est-à-dire deux « bataillons » d’une centaine d’hommes environ :
- la première de ces katibas est celle de Belmokhtar, surnommé « Mister Marlboro » en raison de son implication dans la contrebande de cigarette. On lui doit notamment un attentat suicide contre l’ambassade de France à Nouakchott (en août 2009) et l’enlèvement de deux jeunes Français, à Niamey, en janvier 2011, sur lequel François Loncle aura l’occasion de revenir ;
- la seconde des katibas d’AQMI dans le Sahel est celle d’Abou Zeid, un ancien contrebandier connu pour sa grande cruauté et parfois appelé le « Zarkaoui du désert ». Il est lui aussi l’auteur de plusieurs enlèvements dont ceux de Michel Germaneau et de cinq Français et deux étrangers, à Arlit, au Niger, en septembre 2010.
La rivalité entre Belmokhtar et Abou Zeid n’est pas étrangère à la spirale de la violence qui meurtrit aujourd’hui le Sahel. Par leurs actions terroristes, chacun souhaite se démarquer dans le djihad mondial contre les ennemis de l’islam. Mais il s’agit aussi de se financer. On touche là à l’ambivalence d’AQMI qui, d’un côté, se réfère à la tradition la plus rigoriste de l’islam et, de l’autre, n’hésite pas à recourir au « gangstéro-djihadisme » pour accumuler d’importantes ressources financières. Par le biais des prises d’otages et des rançons obtenues en échange de leur libération, AQMI aurait aujourd’hui accumulé entre 50 et 150 millions d’euros ! Même dans leur estimation la plus basse, ces chiffres sont énormes. Surtout, ils connaissent une inflation permanente. Abou Zeid exigerait 90 millions d’euros pour libérer quatre otages français enlevés à Arlit et détenus depuis septembre 2010, à comparer aux 37 millions que représente le total de l’aide au développement de la France au Niger !
Cette importante manne financière a un grand avantage stratégique pour AQMI : elle a permis à l’organisation de tisser des liens étroits avec les populations locales. Car AQMI en a besoin, notamment pour s’approvisionner en eau, en carburant ou pour se guider dans le désert. A la base, c’est un mouvement essentiellement algérien et ses cadres le sont encore aujourd’hui. Dans le nord du Mali, ils ne sont pas chez eux. Leur puissance financière leur a permis de « séduire » aisément des populations abandonnées en leur achetant vivres et matériel, en nouant des alliances matrimoniales et en leur rendant des services que l’Etat est incapable d’offrir. AQMI suscite également des vocations pour des jeunes sans avenir.
Si, à court terme, certaines populations trouvent un intérêt à la présence d’AQMI dans le Sahel, à plus long terme, les conséquences sont désastreuses. La menace terroriste a logiquement conduit les Etats occidentaux à classer en « zone à risques » la plupart des pays de la région et des villes jusqu’alors très touristiques, comme Tombouctou, la « perle du désert », sont aujourd’hui privées de ressources vitales du fait du tarissement du flux de voyageurs.
Au-delà de cet impact néfaste sur l’économie, AQMI pourrait également susciter un chaos encore plus grand dans la région s’il se liait durablement et efficacement avec d’autres mouvements rebelles ou terroristes. Je songe notamment aux Touareg. Il n’y a pas, aujourd’hui, de lien connu entre AQMI et le MNLA. Au contraire, l’idéologie salafiste n’a jamais trouvé d’écho auprès des populations touareg. Mais des intérêts convergents peuvent susciter des rapprochements. Des indices laissent penser que des éléments d’AQMI auraient récemment pu participer au massacre de soldats maliens à Aguelhok. Il conviendra d’être très attentif à l’évolution de cette situation car, s’il devait prospérer, un rapprochement entre AQMI et les communautés touaregs serait très dangereux, le Mali n’ayant pas les moyens de lutter contre deux ennemis simultanément. Il en va de même pour la secte nigériane Boko Haram. Celle-ci a officiellement prêté allégeance à AQMI même si cela semble n’avoir été que symbolique jusqu’à présent. Pour le moment, Boko Haram s’est cantonnée au territoire nigérian mais il n’est pas exclu que la violence puisse directement toucher le Niger voisin.
Enfin, dans la partie de notre rapport consacrée à l’état des lieux de l’insécurité au Sahel, François Loncle et moi-même avons essayé de mesurer le danger qu’AQMI fait courir à la France.
Il est évident que cette organisation terroriste voue une haine tenace à l’égard de notre pays, lequel lui offre des raisons pour cela : ancienneté de la présence de la France dans le monde, le Français étant, en plus, la langue des élites ; défense du modèle républicain (laïcité, loi contre le niqab…), passé colonial, appartenance à l'OTAN, intervention en Afghanistan... On imagine bien le genre d'arguments qui motive la haine de la France. Al Zawahiri lui-même, le lieutenant de Ben Laden, nous accorde une place particulière puisqu'il a souvent clamé que la France était l'ennemie jurée de l'islam depuis Napoléon Ier et la conquête de l’Egypte ! Ce fanatisme est évidemment très dangereux. Les terroristes sont prêts à tout, a fortiori lorsque la vie d’un Français vaut tant d’argent. On a très bien vu ce dont ils sont capables, dans le désert, pour frapper les intérêts français. A ce propos, une phrase du directeur général de la sécurité extérieure nous a particulièrement marqué : il nous a dit, à propos des membres d'AQMI, je cite : « ils n'ont pas peur de mourir car ils sont déjà morts dans leur tête ».
Toutefois, si le danger est avéré, il faut aussi le relativiser. A ce jour, AQMI n'a jamais pu frapper l'Europe. La maison mère, Al Qaida, a connu de lourds revers, le plus spectaculaire ayant été la mort de Ben Laden au mois de mai dernier. Cela n'est pas sans conséquence sur AQMI qui ne recrute plus aussi facilement que dans les années 2000 et qui semble s'être engagée dans une fuite en avant dont la haine de l'Occident est le seul moteur. Le piège pour la France et ses alliés serait alors de répondre aux provocations d'AQMI et de favoriser une escalade. La réponse aux exactions d'AQMI ne peut passer par une présence massive et visible sur le terrain. Ce serait, là, magnifier le combat des fanatiques salafistes contre les « croisés ». Nous avons un rôle à jouer mais en complément de celui des États de la région qu'il convient d'aider et d'encourager sans se mettre en avant.
M. François Loncle, co-rapporteur. Je tiens à préciser que notre rapport est un co-rapport. Il est le fruit d’une réflexion et d’un engagement communs. L’idée de ce rapport est née à la suite de la mort de Michel Germaneau. A l’époque, nous avions été reçus par le Premier ministre et nous avions perçu la gravité de la situation. Avant d’aller plus loin, je tiens à compléter les propos d’Henri Plagnol en soulignant que la France n’est pas la seule visée par AQMI. Certes, c’est la cible principale mais les ressortissants des Etats-Unis sont aussi concernés et, d’une manière générale, les Occidentaux, qu’ils soient Espagnols, Canadiens ou autres. AQMI, avec un grand cynisme, mêle considérations idéologiques et financières.
Pour améliorer la situation sécuritaire dans le Sahel, nous avons recensé trois pistes :
- à court terme, il est nécessaire de traiter le plus efficacement possible le problème de nos compatriotes retenus en otages. Comme je vais l'indiquer, cela requiert l'adoption d'une stratégie cohérente face aux enlèvements ;
- rétablir la sécurité dans le Sahel passe aussi, selon nous, par la nécessité de combattre plus efficacement AQMI. Quatre pays africains ainsi que des puissances occidentales sont concernés. Ce n’est pas évident ;
- enfin, l'aspect développement est essentiel et notre mission d'information a fait le point sur les différents programmes en cours et les améliorations qu'il est possible mais aussi indispensable d'apporter ;
En ce qui concerne le problème des prises d'otages, deux axes sont prioritaires : sauver les otages actuels et éviter de nouveaux enlèvements.
Sauver nos otages signifie d'abord négocier. C'est une tâche longue et difficile, chapeautée par la DGSE et au sujet de laquelle il est très difficile d'obtenir des informations fiables et précises. Le Gouvernement entend rester très discret sur les méthodes et les enjeux des négociations. Nous pouvons comprendre ce souci d'une discrétion absolue. En revanche, il a une contrepartie : l'efficacité. Or, en novembre et décembre derniers, la presse a fait état de faits obscurs s'apparentant plus à un mauvais roman de gare qu'à ce que l'on pourrait attendre d'une vraie négociation. Elle a notamment évoqué des initiatives parallèles de la part, d'un côté, d'un ancien officier du service action de la DGSE et, de l'autre, d'un ex-cadre d'Air France. Il est impossible d'établir le degré d'exactitude des faits rapportés par la presse ; il serait regrettable que la rivalité entre ces deux filières ait pu retarder les négociations alors en cours. Lorsque ces dernières, espérons-le, auront abouti, il sera assurément très utile de revenir sur ces faits et d'en faire le bilan.
Sauver nos otages ne revient pas seulement à négocier. Négocier, en effet, n'est pas une voie assurée vers le succès, comme l'a malheureusement montré le cas de Michel Germaneau. Pour sa libération, AQMI exigeait, outre la remise en liberté d'un terroriste détenu en Algérie, l'abrogation de la loi française contre le port du niqab sur la voie publique. Une exigence inadmissible faisant douter de la réelle volonté d'AQMI de vouloir discuter. Aussi faut-il être en mesure de pouvoir mettre fin à une prise d'otages le plus en amont possible, en particulier en interceptant les terroristes chaque fois que cela est possible. Ce genre d'opérations relève, en théorie, de la compétence des États sur le territoire desquels ont lieu les prises d’otages. Or, leurs forces de sécurité étant peu équipées et mal préparées, la communauté internationale a le devoir de les aider à se former et, avec l'accord des gouvernements locaux, d'intervenir au cas par cas si cela est nécessaire. Tel fut le cas, en janvier 2011, au Niger, lorsque les forces spéciales françaises tentèrent d'intercepter le convoi d'AQMI transportant Vincent Delory et Antoine de Léocour, enlevés quelques heures plus tôt à Niamey. Vous connaissez tous l'issue tragique de cette opération puisque les deux Français périrent au cours de l'assaut de nos soldats. Une double polémique est apparue peu après : d'une part, les deux jeunes, sans relais médiatique, auraient été sacrifiés par le pouvoir politique ; d'autre part, ils auraient pu être victimes de tirs français lors de l'intervention pour les libérer. S'agissant de la première polémique, il est regrettable que de tels propos aient pu être tenus et nous ne pouvons pas croire un instant qu’un tel calcul, particulièrement cynique, a été effectué. En ce qui concerne l'origine de la mort des otages, vous savez que l'armée a filmé l'assaut mais qu'une partie du film, qui pourrait permettre de répondre aux interrogations, a été classée secret défense. En dépit de nos relances, le ministère de la défense ne nous a pas permis de voir le film dans son intégralité et, tant Henri Plagnol que moi-même, le déplorons alors même que, sur toutes les autres questions, nos demandes ont été pleinement satisfaites. Au final, l'opération menée pour libérer nos deux jeunes compatriotes a été un échec puisque son but n'a pas été atteint. Pour autant, cet échec ne doit pas disqualifier, pour l'avenir, ce genre d'intervention lorsque des renseignements précis permettront d'envisager son succès sans mettre en danger la vie des otages. En tout état de cause, lorsqu'il est évident qu'un assaut peut être mené sans aucun risque (par exemple, si des otages viennent d'être libérés), il faut frapper. Sous la précédente législature, j'avais eu l'occasion, dans le cadre d'une mission d'information sur les journalistes et correspondants de guerre, de dénoncer, avec Pierre Lellouche, le manque d'entrain de nombreux Etats (dont le nôtre) à poursuivre les auteurs de violence. Cela doit cesser une fois pour toute. Il en va de la crédibilité de notre pays. Tous les ex-otages, journalistes ou victimes d’AQMI, nous ont dit qu’une fois relâchés, ils avaient soufferts de voir qu’on passait à la question suivante sans poursuivre les auteurs des violences.
Bien entendu, notre capacité d'intervention dépend de notre présence au plus proche du terrain. A cet égard, la France dispose d'un indéniable atout avec ses forces prépositionnées (à Djibouti, au Sénégal et au Gabon) et celles participant à des opérations extérieures (Tchad, Côte d'ivoire et République centrafricaine). Le Livre blanc sur la défense nationale de 2008 avait préconisé une nette réduction de ces implantations avec la création de deux pôles seulement, un à l'ouest et l'autre à l'est du continent africain. Heureusement, la logique de ce document n'a pas été appliquée jusqu'au bout et il est apparu nécessaire, face à une menace terroriste croissante, de demeurer à proximité des zones les plus tendues. Comme Henri Plagnol l'a souligné, l'idée n'est pas celle d'un déploiement massif et disproportionné. Nous n'avons pas à mener une guerre globale contre le terrorisme dans le désert sahélien. Ce serait là tomber dans le piège que veut nous tendre AQMI. Mais si elle doit être discrète, notre présence doit être efficacement répartie et il conviendra d'y veiller lors de la rédaction du nouveau Livre blanc mais aussi de la discussion du prochain projet de loi de programmation militaire.
Le dernier aspect de la réponse aux prises d'otages que nous avons souhaité aborder est celui de leur prévention. Il faut absolument priver AQMI de ce redoutable moyen de pression que constitue des compatriotes retenus dans les pires conditions matérielles et psychologiques. Dans ce but, on ne peut que saluer les efforts entrepris pour sécuriser la présence française dans le Sahel. Certes, celle-ci a fortement décrue du fait du classement en zone rouge de vastes pans du territoire. Des activités qui se sont cependant maintenues. Les entreprises ont dû adopter des plans de sécurité stricts qui ont ensuite été approuvés par le Quai d'Orsay et les différentes administrations concernées avant de pouvoir être mis en œuvre. Réduit à 25 personnes ces derniers mois, le nombre d'expatriés français d'Areva au Niger va ainsi pouvoir passer à environ 300 personnes d'ici la fin de l'année.
Enfin, notre rapport d'information examine une deuxième voie pour tarir le flux des otages : la question des rançons. Le sujet est délicat mais mérite d'être posé. En quelques années, AQMI est entré dans une spirale inflationniste et demande toujours plus. Je rappelle le chiffre indiqué par Henri Plagnol : il est demandé 90 millions d’euros pour libérer quatre Français enlevés à Arlit en septembre 2010 ! Satisfaire de telles exigences ne conduit-il pas à l'encourager encore et toujours ? Céder aux terroristes ne revient-il pas à contribuer à les financer ? N'est-ce pas aussi envoyer un message négatif aux populations locales qui, vivant dans la plus grande précarité, voient les auteurs des violences récompensés au détriment de ceux qui en ont le plus besoin ? Les Etats du Sahel ont, à plusieurs reprises, appelé au non paiement des rançons. C'est également la position officielle des Etats-Unis et du Royaume-Uni, même s'il semble qu'ils aient parfois recours à des sociétés d'assurances privées ou aux entreprises pour contourner ce principe. En tout état de cause, il est souhaitable qu'une réflexion s'engage rapidement sur ce point, dans notre pays. Certes, le paiement de rançons n'est pas officiellement reconnu puisque, comme je l'ai dit, le contenu des négociations est gardé secret par le Gouvernement. Mais il est indispensable que notre pays prenne position dans un sens qui permettra de montrer sa fermeté et sa volonté d'assécher les sources de revenus des terroristes et d’anéantir toute incitation à commettre de nouveaux enlèvements. 80 % des ressources financières d’AQMI sont issues des rançons.
A côté de la problématique des prises d'otages, notre rapport d'information souligne la nécessité de combattre AQMI plus efficacement qu'aujourd'hui.
Ce rôle, comme nous l'avons déjà laissé entendre, échoit en priorité aux Etats du champ.
Nos travaux nous ont conduit à constater les efforts entrepris par la Mauritanie et le Niger qui, en dépit de moyens limités, ont très tôt admis la nécessité de lutter contre AQMI et de ne pas laisser cette organisation prospérer sur leur territoire. Si la Mauritanie y est remarquablement arrivée, c'est un peu plus difficile pour le Niger qui n'a pu éviter l'enlèvement d'Arlit, en septembre 2010, ni celui de Vincent Delory et d'Antoine de Léocour, en janvier 2011. Néanmoins, depuis ces prises d'otages, le Niger n'a pas fait l'objet d'une nouvelle attaque et il est parvenu, jusqu'ici, à éviter toute installation permanente de groupes liés à AQMI.
L'attitude de l'Algérie et celle du Mali sont plus ambiguës. S’agissant de l’Algérie, AQMI, héritier du GIA et du GSPC, y est né et ses cadres sont essentiellement algériens. De même, il est présent, encore aujourd’hui, dans le nord du pays, y compris à proximité de la capitale, d'où la tentation des autorités algériennes d'établir une distinction entre les deux fronts, celui du nord et celui du Sahel. Et par conséquent, d'apporter à un de ces fronts une attention plus grande qu'à l'autre. Un peu comme si l'Algérie n'avait pas été mécontente qu'une grosse partie des combattants salafistes aient pu quitter son territoire et aillent exporter leur violence au sud du pays.
Quant au Mali, il est historiquement considéré comme le maillon faible de la lutte contre AQMI. Nous avons pu constater que le président Amadou Toumani Touré, dit ATT, concentrait l'essentiel des critiques pour ne pas avoir mis suffisamment d'énergie dans la lutte contre les katibas, lesquelles ont pu faire du nord du pays leur sanctuaire. Si l'honnêteté ainsi que des signaux positifs comme la nomination de M. Maïga au poste de ministre des affaires étrangères, doivent conduire à nuancer certains reproches, il apparaît toutefois que le pouvoir malien a très longtemps considéré AQMI comme un problème d'abord algérien et qu'il lui importait, en priorité, de préserver le pays utile, c'est à dire le sud, au détriment d'un nord trop grand et peuplé, entre autres, de Touareg hostiles.
Toutefois, quelle que soit leur volonté qui, on l'a vu, peut être très inégale, les Etats du champ ne peuvent rester isolés. AQMI se joue des frontières. Les Etats du Sahel doivent s'entraider. On doit les aider. Tel est l'enjeu des multiples actions de coopération régionale dans le domaine de la sécurité et de la défense qui sont aujourd'hui menées. Car si, depuis la mort de Michel Germaneau, la situation globale s’est détériorée, on constate une nette prise de conscience.
Au niveau local, certaines initiatives ont été mises en place. Le Mali, par exemple, a accordé aux troupes mauritaniennes un droit de poursuite sur son territoire contre les éléments d'AQMI. A également été créé par l'Algérie, le Mali, le Niger et la Mauritanie le CEMOC, un comité d'état major conjoint basé à Tamanrasset. On ne peut que se féliciter de cette démarche même si, malheureusement, le CEMOC est encore loin d'être opérationnel.
Dès lors, la coopération régionale doit être soutenue au niveau international. En la matière, la France joue un rôle capital par le biais, notamment, du réseau des Ecoles Nationales à Vocation Régionale mais aussi par l'intermédiaire d'une coopération militaire reposant sur trois vecteurs : la mise à disposition de coopérants, l'attribution d'une aide logistique directe et des actions de formation. L'Algérie, toutefois, se tient à l'écart. Il n'y aucune coopération entre son armée et la nôtre et la situation ne risque pas de s'améliorer à l'approche du cinquantenaire de l'indépendance.
Parallèlement à la France, les Etats-Unis sont eux aussi très impliqués au Sahel. Nous avons eu l’occasion de rencontrer des représentants de leur ambassade à Paris et nous avons été impressionnés par leur volonté. Le principal outil des Etats-Unis est le TSCTP, c'est à dire le « partenariat trans-Sahara pour l'anti-terrorisme ». Il est doté d'un budget annuel de 100 millions de dollars et son volet militaire se rapproche des actions menées par la France en proposant des formations d'unités spéciales et des cessions de matériels. Depuis 2005, les Etats-Unis organisent aussi, chaque année, des manoeuvres intitulées « Flintlock » qui impliquent l'ensemble des pays du champ (y compris l'Algérie) leur permettant de coopérer au sein d'exercices militaires de grande ampleur.
Enfin, notre rapport évoque l'Union européenne et les Nations Unies. Du côté européen, une stratégie Sahel a été définie par le service d'action extérieure de l'Union. Doté de 600 millions d'euros, son volet « sécurité » est encore très flou et méritera d'être suivi dans les mois à venir. Du côté des Nations Unies, le Sahel est de plus en plus évoqué lors des réunions du Conseil de sécurité. Ce n'est pas inintéressant, mais il faut veiller à ce que cela ne donne pas une publicité démesurée à AQMI et ne nourrisse pas sa rhétorique anti-occidentale. Dans l'immédiat, il revient surtout au Haut commissariat aux Réfugiés d'agir pour faire face au risque de crise humanitaire majeure que fait courir la nouvelle rébellion touareg. Le HCR a déjà commencé à prendre des mesures d’urgence et a lancé un appel de fonds. Il est indispensable qu’il puisse mener à bien sa mission. J’ai rencontré le Président Compaoré au début du mois de février et il m’a indiqué que 15.000 réfugiés avaient franchi la frontière malienne vers son pays la semaine précédant ma visite.
Enfin, un dernier aspect de la lutte contre AQMI est plus politique et moins militaire : il s'agit de décrédibiliser cette organisation. Celle-ci communique avec talent et sait s'assurer, par ses enlèvements spectaculaires, une publicité sans commune mesure avec son poids. Face à cela, les Etats cibles, notamment la France, sont démunis. N'ayant pas de politique de communication définie, leurs réactions dépendent trop souvent de l'émotion ou tombe dans la logique du rapport de force guerrier que recherche AQMI. Une stratégie plus réfléchie, insistant notamment sur l'aspect crapuleux des actions des terroristes et leurs conséquences néfastes et dénonçant également les inepties prônées par AQMI pourrait être fort utile. La tâche aurait d'autant plus de chance de réussir que l’islamisme radical n'est pas naturellement présent au Sahel, région plutôt tolérante sur le plan religieux.
Cela étant, on ne réussira pas à sécuriser la région sahélienne uniquement par des moyens militaires ou idéologiques. La question du développement est également cruciale. Henri Plagnol vous a présenté tout à l’heure le tableau des défis immenses auxquels le Sahel doit faire face.
Les trois pays qui nous intéressent ici ont chacun de nombreux partenaires qui leur apportent au total des contributions de plusieurs centaines de millions de dollars. On trouve parmi ces donateurs les principaux pays de l’Union européenne, à l’exception désormais du Royaume-Uni qui se retire de la région.
Le Mali, la Mauritanie et le Niger sont trois des 14 pays prioritaires de notre aide au développement, mais la France n’est cependant pas le donateur le plus important, dans la plupart des cas, alors même qu’il s’agit d’anciennes colonies et de pays francophones. En 2009, l’Espagne avait par exemple une APD en Mauritanie supérieure à la nôtre. Les Etats-Unis, le Canada ou les Pays-Bas interviennent massivement au Mali, souvent plus que la France.
Les institutions internationales sont également très présentes dans la région, mais moins que les pays du Comité d’aide au développement de l’OCDE. Le Mali par exemple a reçu, en 2009, 420 millions de dollars des organisations internationales de développement, de la Banque mondiale en premier lieu, suivie par la Commission européenne et la Banque africaine de développement, tandis que l’ensemble des partenaires bilatéraux apportaient près de 550 millions.
Sans nous appesantir trop longuement sur ces questions, ce qu’il faut aujourd’hui souligner c’est le fait que tous les acteurs, que ce soient les institutions multilatérales, les pays donateurs et les bénéficiaires, s’accordent sur le fait qu’il faut avoir une vision intégrale des problématiques et essayer des réponses globales et cohérentes. Tout le monde est conscient que l’irruption d'AQMI sur la scène régionale a changé la donne et que, plus que jamais, sécurité et développement sont étroitement liés.
En septembre dernier, l’Union européenne a adopté une « stratégie pour la sécurité et le développement » pour répondre à cette exigence, stratégie qui articule bonne gouvernance, développement et règlement des conflits internes. Avec Henri Plagnol, nous proposons qu’un Représentant spécial de l’Union européenne soit nommé pour le Sahel, à l’instar de ce qui s’est fait pour d’autres régions en crise. Il aurait pour tâche de piloter et de coordonner cette stratégie ambitieuse.
Deux derniers points pour terminer cette présentation : l’importance qu’il faut attacher au renforcement des capacités des Etats de la région. Vous visualiserez sur les cartes que nous publions dans le rapport l’immensité de la zone sur laquelle AQMI intervient. En l’état actuel, aucun des gouvernements de la région ne dispose des moyens suffisants pour contrôler son propre territoire. C’est évidemment un aspect sur lequel il convient d’agir en priorité. Il ne faut pas oublier qu’AQMI, c’est 300 personnes, probablement, dispersées sur un territoire immense.
De la même manière, il serait urgent d’intervenir en amont du Sahel pour essayer de tarir les sources de financements que l’organisation terroriste retire des multiples trafics, et notamment de celui de la drogue en provenance d’Amérique du sud, qui pénètre en Afrique par des pays comme la Sierra Leone ou le Liberia. Si l’on aidait ces pays à contrôler leur espace maritime, si l’on réussissait à stopper les arrivages avant qu’il ne transitent par le Sahel, AQMI verrait ses ressources diminuer considérablement et en serait affaiblie d’autant.
Enfin, nous croyons qu’il ne faut pas que nos politiques contribuent à enfoncer davantage les pays sahéliens. A cet égard, le zonage en rouge de la majeure partie du territoire des trois pays a eu pour effet de tarir totalement le tourisme qui était une ressource, même modeste, mais cruciale pour les populations de certaines régions, comme le pays Dogon. Nous comprenons que le MAEE incite nos concitoyens à la prudence, mais il faut que cela soit fait de manière plus mesurée et plus cohérente : mesurée, parce que certains pays, notamment la Mauritanie, ont pris des mesures remarquables et ont réussi à sécuriser les zones touristiques ; cohérente, parce qu’on doit observer que l’on ne déconseille toujours pas aux voyageurs de se rendre au Maroc, malgré l’attentat à la bombe de Marrakech qui a tué 17 personnes. En revanche, on interdit quasiment de se rendre au Sahel, alors même qu’AQMI n’a encore commis aucun attentat aveugle. Le ministère des affaires étrangères a ouvert un immense parapluie, sans discernement et sans vérification des risques réels dans la région. L’interdiction qui frappe les pays de la région est une catastrophe économique et sociale supplémentaire dont les populations n’ont pas besoin et nous appelons instamment à une révision de ces mesures.
M. Jean-Paul Lecoq. Votre rapport éclaire remarquablement une situation très complexe, mais je m’étonne que vous n’ayez pas fait de parallèle avec l’Afghanistan, où Al Qaida est née puis a prospéré grâce aux revenus provenant du trafic de drogue et à des complicités locales. On retrouve des points communs au Sahel. Pourriez-vous nous préciser quel intérêt les Touareg trouvent dans la complicité avec AQMI.
Certaines des personnes récemment prises en otage travaillaient pour des ONG intervenant dans des camps de réfugiés sahraouis. Ces derniers abritent des milliers de jeunes gens qui n’ont jamais connu la vie hors des camps et qui ne voient pas d’avenir pour leurs revendications. Alors qu’ils connaissent la culture touareg, qu’ils appartiennent à des populations habituées à vivre dans le désert et qu’ils ont en eux un fort potentiel de violence, tournée notamment contre la France, qu’ils voient comme ayant une responsabilité dans le non-règlement de la question sahraouie, ne peut-on pas craindre qu’ils deviennent aussi des acteurs de la situation troublée du Sahel ?
Par ailleurs, auriez-vous des informations sur le rôle que jouent les services de renseignements dans la zone ? Quels sont les plus présents ? Suivent-ils les mouvements des groupes terroristes grâce aux images satellites ?
M. Serge Janquin. Merci pour ces exposés, qui vont au cœur du sujet. Henri Plagnol a indiqué que la France devait éviter de s’exposer directement et François Loncle a appelé à une présence discrète mais efficace : comment atteindre cet objectif ? Comment concilier discrétion et efficacité ?
Je m’étonne du silence de ces exposés à propos de l’Union africaine. Il est vrai qu’elle se heurte constamment à la difficulté de régler des conflits opposant l’Afrique « maure » et l’Afrique noire, mais c’est pourtant à elle de s’en charger et elle ne doit surtout pas être écartée des tentatives de règlement de ces conflits.
Il y a quelques années, j’ai remplacé notre défunt collègue Henri Cuq à la tête d’une délégation du groupe d’amitié France-Mali en mission à Bamako au moment de l’enlèvement de Michel Germaneau. J’ai été consterné de constater l’absence de ligne directrice du ministère des affaires étrangères. Le Premier ministre malien de l’époque avait, au nom du président de la République, invité la délégation à effectuer une visite : l’ambassadeur de France estimait qu’il était inopportun de répondre favorablement à cette invitation, mais nous n’avons finalement obtenu un avis officiel – négatif –, que la veille et seulement à la suite d’une intervention, bienvenue, du président de l’Assemblée nationale auprès des plus hautes autorités françaises.
Il est vrai que la France s’expose toujours à des accusations de néo-colonialisme : le seul moyen de régler ce problème consiste à laisser le premier rôle à l’Union africaine, quitte à lui apporter notre aide, à conduire un dialogue avec elle ; c’est elle qui doit être l’opérateur unique, pas les Etats occidentaux.
M. Jean-Michel Boucheron. Au Sahel, comme les co-rapporteurs l’ont indiqué, nous sommes confrontés à du « mou », car les pouvoirs locaux ne contrôlent rien, et à du « peu transparent », car les vrais acteurs restent invisibles. Les co-rapporteurs sont néanmoins parvenus à mener un travail très intéressant.
Je tiens à souligner, d’une part, que la commission consultative du secret de la défense nationale, qui comprend des parlementaires, est habilitée à visionner le film de l’opération visant à libérer les deux Français enlevés dans le nord du Mali en novembre 2010, et, d’autre part, qu’un combat contre AQMI et les preneurs d’otages est mené sur place depuis longtemps.
Dans la phase actuelle du conflit, les Touareg contrôlent le nord du Mali : avez-vous le sentiment qu’ils veulent avancer jusqu’à Bamako ? Très récemment, on a senti un raidissement des Touareg vis-à-vis d’AQMI : intuitivement, diriez-vous que c’est passager ou que les Touareg pourraient avoir la capacité de régler le problème du terrorisme d'AQMI ?
M. Robert Lecou. Comme Jean-Michel Boucheron, je perçois la situation au Sahel comme un mélange de « mou » et de « peu transparent ». Elle est surtout très sensible. En tant que président du groupe d’amitié France-Mali, j’ai des contacts avec des représentants légitimes de la population du nord du Mali. Ils font leur possible pour obtenir que cette population soit secourue, obtienne de l’aide alimentaire et un soutien lorsqu’elle doit se déplacer pour fuir le danger. Sa situation est alarmante et ne doit pas être oubliée. Il faut bien avoir à l’esprit le fait que toute la population du nord du Mali ne soutient pas le terrorisme ; de très nombreuses personnes, parmi lesquelles certaines m’ont fait parvenir leur témoignage, ont dû se réfugier dans les pays voisins, ce qui crée des difficultés. L’Etat malien est démocratique mais je ne suis pas sûr qu’il prenne la mesure de la gravité de la situation de ces populations. Je m’interroge sur sa capacité à discuter avec les représentants légitimes du peuple touareg, au moins pour faire face à l’urgence humanitaire. Le reste du monde ne doit pas abandonner les populations du nord du Mali au profit des intérêts du sud.
M. André Schneider. Je félicite à mon tour mes deux collègues et les remercie pour leurs propos qui font écho aux conclusions douloureuses d’un travail de la commission politique de l’Assemblée parlementaire de la francophonie que je préside, sur la situation de crise dans l’espace francophone. S’il est vrai que la France n’est plus aujourd’hui en capacité d’agir autrement que discrètement en Afrique, la francophonie, elle, peut demeurer un espace de dialogue avec les pays de langue française. Elle est en outre perçue comme un espace de protection pour les pays non francophones qui aujourd’hui souhaitent y adhérer.
Nous devons faire le pari que l’Afrique sera le continent du XXIème siècle sinon nous manquerons un rendez-vous avec l’histoire. C’est aussi une nécessité face aux risques de contagion de tous les trafics qui y ont cours, qu’il s’agisse de drogue, d’êtres humains ou d’organes.
Je remercie une nouvelle fois les rapporteurs d’avoir conforté mes convictions et de m’avoir fourni des arguments supplémentaires.
M. Michel Terrot. Je félicite également les rapporteurs et souhaite revenir sur deux points évoqués par François Loncle et sur lesquels j’ai régulièrement interpellé le ministre au cours de cette législature.
Le premier concerne le dispositif Epervier au Tchad dont le Livre blanc prévoyait la disparition dans un délai non déterminé. J’admets que la présence sur place n’est pas la seule méthode pour lutter contre le terrorisme. Il me semble néanmoins que cela serait pure folie que de dépouiller ainsi notre dispositif sur le terrain et de baisser la garde dans une région aussi sensible. Je me félicite donc que ce point de vue soit repris dans le rapport.
En second lieu, la France apparaît aujourd’hui comme un bailleur de seconde zone, y compris dans les pays de tradition française, contrairement par exemple à l’Espagne en Mauritanie. C’est la conséquence d’une politique contre laquelle je me suis battu durant ce mandat selon laquelle l’aide multilatérale est privilégiée au détriment de l’aide bilatérale. Il est temps d’ouvrir les yeux et d’inverser ce choix en favorisant de nouveau l’aide bilatérale comme le font les autres pays européens.
Je regrette que sur ces deux sujets, malgré les promesses, les choses n’aient guère avancé.
M. Jacques Myard. J’approuve entièrement les deniers propos de Michel Terrot. Nous devons cesser de consacrer autant d’argent à l’aide multilatérale qui au surplus profite in fine à des sociétés anglo-saxonnes.
Je me félicite de ce rapport qui me semble annonciateur de la volonté française de renouer avec l’Afrique. Il convient désormais de confirmer par des actes cette reconnaissance bienvenue de l’importance de l’Afrique.
Je rappelle que la prise d’otage dans cette région du monde est une pratique ancestrale. La rançon est considérée comme un moyen habituel de transaction. Certes le discours islamiste vient s’ajouter à cette tradition. Mais le Sahel a toujours été instable et n’a jamais été pacifié.
En matière de prise d’otages, la négociation est un piège pour les démocraties. Ces peuples ne négocient pas entre eux. Ils considèrent la négociation comme un aveu de faiblesse. Dans le même temps, il faut préserver la vie des otages. Le choix est difficile.
Pourquoi voulez-vous une fois encore mêler l’Union européenne à ce que font les Etats au Sahel ?
Je rappelle à M. Loncle que François Mitterrand a envoyé les forces spéciales françaises en Afghanistan dès l’entrée des Soviétiques. Au Sahel aussi, la France est présente et très active depuis le début.
La zone rouge n’est pas trop importante. Elle correspond à une zone d’incertitude totale parce qu’elle n’est pas pacifiée, que le mouvement y est permanent et que les terroristes ont beaucoup appris…
Ce serait mortifère pour la défense nationale que de transmettre les documents classés « secret défense » en vue d’un procès. Je m’élève contre la judiciarisation des actions de guerre.
M. Henri Plagnol, co-rapporteur. Pour répondre d’abord à M. Lecoq, il existe des similitudes entre l’Afghanistan et le Sahel si l’on raisonne du point de vue du djihad islamique et de l’opposition à l’occident qu’il véhicule. Cependant, la comparaison s’arrête là, compte tenu des caractéristiques géographiques et des modes de vie très différents. C’est d’ailleurs ceux qui se réclament du djihad qui cherchent à imposer cette approche planétaire et nous avons intérêt au contraire à raisonner à l’échelle régionale, particulière. Quant à la collusion entre les Sahraouis et AQMI, on ne peut exclure qu’elle se produise un jour mais l’Algérie veille et cela explique que cela ne se soit pas produit jusqu’à présent.
J’ai été sensible aux remarques de MM. Schneider et Lecou. Concernant la situation tragique du nord du Mali, le président ATT nous avait fait part de ses inquiétudes. Il ne souhaitait pas militariser la lutte car il connaît son pays et sait que l’armée n’est pas la bienvenue au nord. C’est un Etat nation extraordinairement fragile que le Mali. Concernant l’appel au secours, la France a un rôle essentiel à jouer car elle est, me semble-t-il, le seul interlocuteur acceptable par les deux parties. Notre diplomatie doit donc s’activer si l’on souhaite éviter l’éclatement. Les Touareg iront-ils jusqu’à Bamako ? Je ne saurais dire. Ils veulent régler la question sécuritaire mais ce serait alors remettre en cause la carte de la région. La France doit soutenir une autre voie tout en montrant qu’elle comprend la situation des Touareg et la détresse qui est la leur.
S’agissant de la francophonie, c’est un facteur important car la lutte en cours est aussi culturelle. AQMI milite contre le français. Le président mauritanien nous a dit qu’il serait crucial de mettre en place des outils à destinations des magistrats et des militaires appartenant à la génération des 35-50 ans car se posent aujourd’hui des problèmes de commandement. Promouvoir la francophonie, c’est développer une approche différente et une ouverture. Il faut privilégier des actions ciblées en direction de certains milieux stratégiques de l’Etat.
M. François Loncle, co-rapporteur. Je vous remercie pour votre écoute et vos compliments et répondrai sur les autres points. D’abord, en réponse à la remarque de M. Janquin sur la manière de concilier l’efficacité et la discrétion, il s’agit en grande partie du rôle du renseignement. Je renouvelle l’affirmation selon laquelle nos services sont remarquables et font un travail efficace. De plus, contrairement à ce que l’on observe en matière de coopération militaire entre les quatre pays de la région, l’action est bien coordonnée entre ces pays et avec le notre et les Etats-Unis.
Concernant le recours à l’Union africaine, le vœu de son implication serait recevable si elle était dotée de moyens considérables. Lors d’une mission avec M. Terrot à Addis Abeba il y a quelques années, nous avions émis le souhait qu’il en soit ainsi, mais tel n’est pas le cas encore aujourd’hui. Si elle avait les mêmes moyens que l’Union européenne, on aurait des résultats. La CEDAO, plus équipée, disposant de plus de moyens et plus opérationnelle car regroupant moins de pays, ne doit pas non plus être négligée.
Concernant la traque des responsables des enlèvements, nous regrettons qu’un droit de suite ne soit pas exercé chaque fois que cela est possible.
Par ailleurs, affirmer qu’il y a du « mou » partout est démenti par l’exemple mauritanien qui atteste qu’il y a des nuances avec aussi une excellente surveillance des frontières.
M. Jean-Michel Boucheron. C’est tout à fait juste pour la Mauritanie.
M. François Loncle, co-rapporteur. Je ne crois pas pour ma part que les Touareg iront jusqu’à Bamako. En revanche, le climat dans la capitale est extrêmement tendu, y compris avec une dimension raciale, entre les communautés. La situation est d’autant plus délicate que le pays est en période électorale, ATT ne se représentant pas. Je souscris aux observations de M. Terrot sur l’aide au développement. Tant pour la France que l’Union européenne, il nous a été dit que des efforts seraient faits pour donner plus aux populations du nord par rapport à d’autres pays qui n’en ont pas un besoin évident.
Enfin, je répondrai à M. Myard que si l’instabilité est ancienne dans la région, il s’agissait auparavant de crimes crapuleux alors qu’aujourd’hui ont tue au nom de l’intégrisme.
Puis la commission autorise la publication du rapport d’information, après que le Président Axel Poniatowski eut précisé que la Commission aura ainsi, sous la treizième législature, publié trois rapports sur l’Afrique.
*
Nomination de deux députés au Conseil d’administration de CampusFrance
La commission a désigné Mme Chantal Bourragué et M. Michel Vauzelle au conseil d’administration de CampusFrance.
La séance est levée à onze heures.
____
Membres présents ou excusés
Commission des affaires étrangères
Réunion du mardi 6 mars 2012 à 9 h 30
Présents. - Mme Martine Aurillac, M. Christian Bataille, M. Jean-Michel Boucheron, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Alain Cousin, M. Tony Dreyfus, M. Hervé Gaymard, M. Jean Grenet, M. Serge Janquin, M. Jean-Pierre Kucheida, M. Jean-Paul Lecoq, M. Robert Lecou, M. François Loncle, M. Jacques Myard, M. Henri Plagnol, M. Axel Poniatowski, M. André Schneider, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle
Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Jacques Bascou, M. Jean-Louis Bianco, M. Roland Blum, Mme Chantal Bourragué, M. Loïc Bouvard, M. Pascal Clément, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Claude Guibal, M. François Rochebloine, Mme Odile Saugues
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