jeudi 20 septembre 2012

La charia, c'est quoi au juste?

Communément présentée comme la loi islamique, la charia varie en fonction des pays et des intérêts politiques, même si elle s'inspire bien des écrits du prophète Mahomet.
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L'étendard salafiste du groupe Ansar Dine, à l'entrée de Kidal (Nord-Mali) © REUTERS/Stringer
Mise à jour du 19 septembre 2012: Un "nouvel Afghanistan" risque de voir le jour au Mali, a mis en garde le 19 septembre le ministre italien de la Coopération internationale, Andrea Riccardi, si des pays comme l'Italie ne s'engagent pas davantage dans cette région d'Afrique pour consolider la démocratie.
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Interdiction de consommer ou de vendre de l'alcool, obligation du port du voile pour les femmes, destruction des mausolées et des lieux saints à Tombouctou...
Au nord du Mali, la charia tisse sa toile. Sous l'impulsion des islamistes comme Ansar Dine, le Mouvement pour l'unicité du jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), et d'après certaines sources, la loi islamique tente de s'imposer dans cette zone.
Et l'application redouble d'intensité ces dernières semaines. Le 10 septembre 2012, à Gao, les mains et les pieds de cinq hommes ont été amputés. Ils étaient accusés d'avoir voulu braquer un car de voyageurs à destination de Niamey, la capitale du Niger. Des châtiments qui ne sont pas prêts de s'arrêter.
Le Mujao a prévenu que dans les jours prochains, la charia continuerait à s'appliquer au voleur. Mais qu'elle est cette charia que ces groupes islamistes tentent d'appliquer au nord du Mali?
La notion de charia varierait en fonction des pays et des interprétations des groupes religieux.
«Il n'y a pas de notice d'emploi, on a ici affaire à des lectures contrastées de la loi révélée», explique Baudouin Dupret, directeur au CNRS et du centre Jacques Berque à Rabat, auteur du livre La charia aujourd'hui.
Est-ce un code civique?
La charia fait souvent l'objet de nombreux fantasmes et représentations erronées dans le monde occidental, alors que celle-ci reste un épiphénomène.
Mohammed-Hocine Benkheira, directeur d'études de l'Ecole pratique des hautes études explique:
«Il y a peu de pays musulmans où la charia est appliquée en tant que telle (Arabie saoudite,Soudan, Iran surtout). Dans la plupart des autres pays, c'est surtout le droit des personnes qui est en grande partie islamique ou d'inspiration islamique (mariage, divorce, filiation, successions...).»
Selon la définition usuelle, la charia est définie comme l'ensemble des règles morales et pénales qui régissent la vie d'un musulman.
Ces règles proviennent du Coran et de la sunna (ensemble des actes et paroles du Prophète). Si certaines d'entre elles sont écrites comme les hudud (peines et incriminations fixées dans le Coran), d'autres sont laissées à l'interprétation des théologiens et à l'appréciation ducadi, le juge musulman.
«Il y a souvent une confusion avec la loi religieuse musulmane. La charia n'est pas un code, comme le code civiqueen France. C'est l'ensemble des interprétations que les théologiens ont donné de la loi révélée», observe le chercheur.
Ces lectures varient selon les écoles théologiques-juridiques dans l'islam sunnite: l'école malékite, l'école chafé'ite, l'école hanéfite et l'école hanbalite. Cette dernière est à l'origine du mouvement wahhabite apparu au XVIIe siècle en Arabie saoudite, dont se réclament les salafistes notamment du nord Mali.
«Le wahabisme est un mouvement religieux fondamentaliste qui se veut réformiste par un retour aux sources de la religion. Il est très proche des mouvements "revivalistes” qui ont pour but de revivifier la pratique religieuse actuelle, en s'inspirant des premiers temps de l'islam», souligne Mathieu Guidère, islamologue et auteur de Le printemps islamiste: démocratie et charia.
Ce courant rigoriste radical suit les préceptes des ancêtres (compagnons du prophète) et souhaite le retour à un mode de vie stricte et vertueux.
Pourquoi tant d'interpétations différentes?
«Les wahabites ont une lecture salafiste de la charia, c'est-à-dire une interprétation qui correspond aux premiers siècles de l'islam. Mais ils prônent une application progressive de la charia pour ne pas détourner le peuple de leur projet politique ou susciter l'animosité face à leur pratique comme cela s'est passé ailleurs (Afghanistan, Soudan, Algérie...)», ajoute Mathieu Guidère.
En effet, le groupe islamiste Ansar Dine exclut jusqu'à présent les lapidations pour adultère ou l'amputation des mains pour les voleurs.
«Nous n'avons pas encore recours à de telles sentences, car la société n'y est pas prête», explique Omar Ould Hamaha, le chef militaire du mouvement à Gao.
Il précise tout de même qu'elle serait appliquée «le jour où nous dominerons le Mali pour en faire un califat».
Cette approche est donc différente de celle du Mujao qui, lui, multiplie les châtiments corporels indiqués dans les hudud (peines fixées par le Coran).
Ces sentences semblent appliquées au nom de la charia au Mali avec, par exemple, l'amputation des mains et des pieds des voleurs et la lapidation d'un couple pour adultère infligés par le Mujao.
Les hudud sont au nombre de sept: l'adultère et la fornication, la fausse imputation de ce crime, la consommation d'alcool, le vol, le banditisme, l'apostasie (l'attitude d'une personne, appelée un apostat, qui renonce publiquement à une religion) et la rébellion.
Juste du marketing politique?
Si au nord du Mali, Ansar Dine et le Mujao cherchent à tout prix à appliquer la charia, c'est qu'ils s'en serviraient pour être reconnus et respectés comme groupe islamiste.
Pour Mathieu Guidère, «ils doivent afficher deux objectifs attendus: l'instauration d'un Etat islamique et l'application de la charia. Sinon, ils n'auront aux yeux du peuple aucune spécificité par rapport à d'autres groupes ou mouvements politiques. Au regard de la situation malienne actuelle, cela s'apparente davantage à du marketing théologique mais cela ne signifie pas que cette conception ne finira pas par s'imposer avec le temps».
La charia serait alors une sorte de slogan politique pour les salafistes qui se présentent comme étant un mouvement politico-religieux.
«La spécificité des salafistes, est d'être politisés et de s'engager dans la lutte armée. Revendiquer la charia, pour eux, fait partie d'une de leurs mesures symboliques. Il sert à délégitimer le pouvoir en place que ce soit au Mali ou ailleurs»,analyse Baudouin Dupret.
La charia servirait à légitimer un groupe islamiste, à lui conférer une coloration politique. Mais aussi à fédérer d'autres groupuscules. Ce qui expliquerait sans doute la naissance du Mujao, ce groupe djihadiste, né d'une scission d'AQMI, est, au départ, composé d'Arabes maliens ou mauritaniens, avec une présence du groupe nigérian Boko Haram.
Quid du Nord-Mali?
L'instauration de la charia est loin de faire l'unanimité au nord du Mali. La population de la région s'étant précédemment interposer pour éviter l'amputation d'un membre à une jeune recrue du Mujao qui avait volé des armes pour les revendre.
En effet, selon Mathieu Guidère, la charia serait assez éloignée de l'héritage soufi des Maliens.
«L'application de la charia au Mali doit composer avec un fort héritage soufi qui fait de la pratique religieuse une affaire personnelle et intérieure du croyant à l'égard de Dieu. Ce fonds culturel constitue une source de résistance aux conceptions rigoristes et dirigistes d'application de la charia.»
Les soufi ne seraient pas opposés à la charia mais plus à l'application de celle-ci par des salafistes.
Pour Mohammed-Hocine Benkheira, quant à lui, souligne:
«Dans ses formes dominantes, le soufisme n'est pas hostile à la charia, je dirais même bien au contraire! La charia est élément indissociable de la religion musulmane. Pour un soufi, le respect de la charia est une étape dans la voie qu'il suit indispensable mais insuffisante. On ne peut pas être musulman, stricto sensu, et refuser la charia.»
Cependant, les wahabites et ses dérivés auraient, eux, une hostilité particulière, envers le soufisme en général. Un ressentiment qui pourrait signifier la destruction des mausolées de saints musulmans à Tombouctou, en juin 2012, par les membres d'Ansar Dine.
«Les groupes maliens semblent adhérer, au moins en partie, à la doctrine wahabite, c'est ainsi qu'on peut expliquer leur vandalisme. C'est en raison d'un monothéisme radical (Dieu est absolument transcendant que les wahabites refusent toute médiation entre Dieu et les humains à l'exception du Coran», analyse Mohammed-Hocine Benkheira.
Pour Mathieu Guidière,«à l'heure actuelle, l'islam malien n'est pas compatible avec une application rigoriste de la charia, mais il est travaillé de l'intérieur par des forces politiques, idéologiques et doctrinales qui luttent pour imposer leurs vues théologiques sur les autres composantes.»
Toutefois, le chercheur n'exclut pas que dans un avenir proche, «la charia du salafisme s'impose à l'islam malien».
Stéphanie Plasse

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