« Le
pouvoir est comme un fusil chargé à bloc. Il ne faut pas s’amuser avec
mais le
tenir
fermement pour le guider correctement et avec intelligence. Mais à force de
vouloir s’y
accrocher,
c’est lui qui risque au contraire de vous guider et de vous conduire à votre
perte »
Sagesse
populaire bamanan
Le retour triomphal de Dioncounda Traoré à Bamako,
préparé en catimini
par la CEDEAO
et ses parrains occidentaux à la suite de négociations secrètes avec la junte
militaire
fût
salué comme un évènement majeur par une certaine
presse locale lourdement appuyée à
l’occasion
par certains media occidentaux, français en l’occurrence, notamment RFI qui,
pour
l’occasion, puisa largement dans le répertoire ‘laudatique’ de la presse d’Etat qui a
généralement cours en Afrique
‘démocratisée’. Même les propositions (selon ses propres
termes)
mentionnées dans le discours à la nation de ‘la force tranquille’, dignité à
laquelle il
fût
soudainement promise par RFI, furent transformées dans les commentaires
dithyrambiques
en décisions
courageuses. On salua sa détermination et j’en passe. Le relai fût bruyamment
assuré comme il fallait
s’y attendre par le tamtam du FDR auquel on prêta largement
les
antennes
de la presse locale et internationale comme à l’accoutumée.
Cependant aux yeux des populations dont l’attente était immense, ce fût une terrible
déception. Aucune de ses préoccupations, de ses craintes
et espérances ne fût abordée.
Aucune
référence au peuple, à la nécessité d’être à son écoute, d’entendre sa voix, de
créer le
cadre propice
à l’expression de sa volonté.
Au contraire une volonté farouche
de tout
accaparer, de s’accrocher au pouvoir, de tout garder comme auparavant, bref un retour à la
case départ,
une restauration du système ATT mais sans ATT. Dioncounda semble n’avoir
rien
compris, n’avoir tiré aucune leçon des évènements passés, de l’histoire récente
du Mali et
de la tragédie dans laquelle il est plongée justement principalement par sa
faute et celle des
ses alliés politiques tous ensemble comptables de la gouvernance désastreuse de ATT qui
nous à conduit dans l’impasse actuelle.
Comment comprendre une telle cécité ?
Pourquoi
persévérer
dans une si grave erreur au risque de plonger tout le pays dans la guerre
civile qui
frappe
déjà aux portes ? Les intérêts individuels en jeu sont-ils au dessus du sort du
pays ?
Que s’est-il
passé dans la dernière semaine
du long séjour parisien de Dioncounda
Traoré
? Quelles furent les tractations secrètes qui aboutirent à son retour ?
Quels sont les
arrangements convenus
avec les militaires ? Son discours
porte-t-il la marque de leur
caution
? Ont-ils fini par basculer dans le camp de la restauration de l’ordre ancien ?
A quelles
conditions
? Qu’en est-il de la réalité de l’agression dont il a été victime ?
N’aurait-elle pas
été
mise en scène par les siens pour discréditer les opposants et forcer la main à
la CEDEAO
pour
une intervention militaire pour assurer les héritiers du système ATT face à la
colère du
peuple?
Le temps permettra de nous faire une saine opinion.
A l’analyse, quelque chose d’inquiétant pour la démocratie semble se dessiner.
Tous
les pouvoirs
ont désormais concentrés entre ses mains. Présidence du Conseil d’Etat et
maîtrise d’œuvre
des consultations en vue de la constitution du prétendu gouvernement
d’union
nationale. On connaît la musique. Les listes de prétendants aux postes
ministériels ont
déjà
commencé à pleuvoir. C’est à lui de faire le tri et d’y piocher à sa convenance comme
sous ATT et Alpha. De convention nationale du peuple,
surtout pas. Il faut rester entre
politiciens, entre mafiosi qui connaissent et maîtrisent parfaitement les règles de l’arnaque.
Mais
on oublie que le peuple a tout compris car il sait de quoi il a été victime
deux décennies durant. Examinons de manière plus détaillée le schéma
envisagé. Dioncounda reste la clé de
voûte
du système. Il a tous les pouvoirs. Il n’est désormais plus un président par
intérim mais
un président
de fait et en toute plénitude, contrairement à la Constitution du Mali et à
l’Accord
Cadre signé entre la CEDEAO et la CNRDRE qui lui ôtent d’un côté tout pouvoir
de
nommer ou de démettre
et de l’autre accorde pleins pouvoirs au Premier Ministre
de
transition.
Dans le traitement du dossier malien, on n’en est pas à la première violation
de la
Constitution
du Mali ni des accords signés par la CEDEAO.
L’un
des postes de vice président est accordé aux militaires, histoire de les
amadouer
peut-être
! L’autre vice présidence est accordée aux forces vives de la nation, dit-on !
Pour
cela, comment
faire ? Comment s’assurer
que le Vice Président choisi sera réellement leur
représentant effectif ? Par quelle procédure ? Dans quel cadre de concertation ? Avec qui ?
Des
questions sans réponse pour le moment.
Quant au Conseil National
de Transition, il ne sera tout au plus qu’un organe
consultatif. Son avis n’aura aucun poids décisif dans les décisions
qui seront prises.
Il sera
composé des représentants de la classe politique, une foire à empoignes comme il faut s’y
attendre, une galerie où on pourra leur donner l’occasion de se défouler
à volonté et sans
grande conséquence sur le fonctionnement réel de l’Etat.
Les choses sérieuses
se passent
ailleurs,
entre larrons soigneusement triés.
Bref, le schéma envisagé
multiplie les institutions, les superposent avec celles
existantes dont les mandats
respectifs viennent tous d’être prolongés
de fait en violation
encore
une fois de plus des dispositions de la Constitution malienne. La loi n’est-elle
pas faite
pour
les imbéciles, comme le disait le philosophe allemand Nietzsche ?
De fait, on crée des organes
de la transition sans se donner la peine d’interroger le
peuple
malien, on décide qui doit la diriger et on en trace la feuille de route en
esquivant une
fois
de plus l’essentiel.
Dans le schéma envisagé,
la feuille de route tracée ne comporte
que deux volets.
Le
premier
concerte la situation au Nord du pays et la seconde les élections, comme s’l n’y
avait
pas
eu la faillite de l’Etat et de la gouvernance démocratique. On se refuse à
soigner le mal à
la
racine parce que l’on sait que cela conduira nécessairement à demander des
explications à
ceux qui ont géré le pays jusqu’ici, à situer des responsabilités et à finir par congédier
bon
nombre
d’entre eux de la scène de l’histoire du Mali. De cela, surtout pas question !
On prend
les
mêmes et on recommence jusqu’au prochain désastre prévisible à l’horizon.
En ce qui concerne
la gestion de la question
du Nord on parle d’une commission de
négociation,
pire sous l’égide du médiateur. Du médiateur, on sait depuis fort longtemps qu’il
est
dans la sous-région l’un des soutiens les plus
actifs de la rébellion et le bras agissant des
intérêts occultes
français voire occidentaux. Et puis pourquoi
ne pas prendre directement en
charge la question une fois que les institutions de l’Etat malien sont remises
en place ?
Pourquoi continuer
à être géré sous tutelle ?
Une tutelle qui n’a d’ailleurs rien donné
jusqu’ici
! Les rebelles accepteront-ils de négocier véritablement avec des hommes du
système
ATT qui les ont tant floués comme ils ont floué des années durant le peuple
malien
dans sa globalité
? On
sait pourquoi et comment la tournée bruyante
des envoyés de
Dioncounda
dernièrement en Mauritanie, l’autre soutien actif de la rébellion, pour
rencontrer
le
MLNA, s’est évaporée dans les sables du désert. Dioncounda et les tenants de
son système
sont-ils
encore crédibles pour être des interlocuteurs crédibles et respectés par les
rebelles ? Il
est
largement permis d’en douter ! Pas de paix sans hommes crédibles, sincères, respectueux
de
leurs engagements et réellement
soucieux du pays. La roublardise à la
ATT ne règle rien
du
tout, bien au contraire.
Quand
aux élections, elles doivent être l’aboutissement d’un examen minutieux et sans
complaisance
de l’ensemble du système politique et institutionnel malien pour en corriger
les
dérives. Evacuer
la question du nettoyage général
de l’Etat, des institutions, des textes fondamentaux
du pays, des pratiques consacrées par la corruption et la mal gouvernance, c’est
se
tromper lourdement et se moquer des Maliens. Quant
à la bataille de leadership avec le Premier Ministre actuel, cela ressemble
fort à
une querelle
de chiffonniers. Ce dernier est victime principalement de sa naïveté,
de son
inexpérience politique
et surtout des intérêts partisans
d’acteurs politiques revanchards tapis
derrière lui et dont il est devenu la marionnette. Son mépris pour le peuple auquel il
claironnait
n’avoir pas de compte à rendre, lui, l’élu
de la CEDEAO, l’a conduit visiblement
à sa perte. La réaction populaire
vigoureuse à l’exigence de son départ immédiat réclamé
à
cors
et à cris par le FDR aurait pu lui permettre de résister s’il avait eu l’intelligence
politique
d’organiser
la convention nationale souveraine tant réclamée par le peuple qui seule aurait
pu
lui
donner une légitimité réelle. Au lieu de cela, il a joué avec le peuple et s’est
offert comme
victime
expiatoire de la boulimie du pouvoir de l’ADEMA et de ses acolytes qui ne
veulent
rien
céder. Même si on le maintenait comme Premier Ministre, il ne sera tout au plus
qu’un
secrétaire particulier du Président de transition en attendant son prochain et brutal
congédiement.
La
plaie et le drame de la situation actuelle, c’est l’entêtement de la CEDEAO, de
ses
parrains internationaux et de ses auxiliaires locaux à vouloir
continuer à imposer
au peuple
malien
des institutions et des hommes qui l’ont conduit au désastre. En dehors du
peuple, de
l’expression libre de sa volonté, du respect de sa souveraineté, de son libre choix, de son
autodétermination, il n’ya point de solution.
La nouvelle France des socialistes continuera-
telle de soutenir des institutions, des hommes et des régimes
corrompus et détestés
par leur
peuple
? Continuera-t-elle à travers des artifices juridiques à perpétuer des intérêts
néocoloniaux
qui nourrissent tant d’incompréhensions voire de haines des politiques mises en
œuvre des décennies durant par les divers gouvernements de droite française? Où est le
changement,
la rupture promise par Hollande ? La France continuera-t-elle à être le
gendarme
des multinationales du Nord ou sera-t-elle volontaire pour esquisser
de nouvelles solidarités
effectives,
respectueuses de la volonté des peuples africains et de leurs intérêts, plus
propices
à une
véritable coopération avantageuse pour tous ?
La seule façon correcte
aujourd’hui d’aider le Mali, c’est de cesser toute ingérence
étrangère
et de laisser le Mali résoudre ses problèmes en toute souveraineté et entre
maliens.
Nos
voisins immédiats, la CEDEAO, l’Union Africaine, l’ONU et l’ensemble des
puissances
étrangères devraient
y souscrire si l’on veut éviter un désastre programmé
par les appétits
voraces
des requins intérieurs et extérieurs qui ont jusqu’ici festoyé avec voracité et
opacifié
l’avenir et le destin des peuples
africains. Le choc des événements que connaît le Mali a
brutalement réveillé
le peuple malien de sa longue torpeur.
Il n’est plus prêt à continuer à
endurer la situation dans laquelle il avait été plongé. Le Mali est désormais debout et saura
donner
les réponses appropriées aux défis qui luis
ont imposés par ses ennemis
intérieurs et
extérieurs. Il est à espérer qu’avec
le soutien des peuples africains, français, européens, de
tous les peuples amis du Mali, la raison et la sagesse prévaudront pour nous épargner
des
souffrances
inutiles que l’on cherche à nous imposer.
Pr
Issa N’DIAYE
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