Le Meeting organisé par le haut
conseil islamique le dimanche 12 août dernier a été diversement apprécié dans
notre pays. Le succès populaire qu’il a été avec la mobilisation de plus de
Soixante mille personnes a été applaudi par une frange importante des maliens
comme le signe que les maliens partagent les thèses qui ont été développées
pendant cette activité. A l’inverse, certains groupes de maliens et certains
relais internationaux y ont vu une main mise progressive de la religion sur la
société malienne et sur l’Etat. De là à voir l’instauration d’un prochain
califat ou d’une République islamique au Mali, il y a un pas que de nombreuses
personnes franchissent allégrement. Nous avons même entendu des journalistes
maliens et étrangers conférant au Président du Haut conseil islamique la
position de celui qui détient le pouvoir au Mali. D’autres le comparant déjà à
l’ayatollah Khomeiny !
Alors, notre pays est il si près de
basculer dans la République
islamique ? Est il si près de la charia généralisée avec la multiplication
de ce que des bandits prétendument musulmans véhiculent comme son application
(mutilations, flagellation, destruction de patrimoine…) ?
Il n’en est évidement rien. Cela pour
plusieurs raisons d’ordre juridique, culturel ou social. Cependant, nous
gagnerons à nous inscrire dans la prise en compte du fait religieux comme une
donne incontournable de la stabilité de notre société. Une donne qui constitue
l’un des remparts idéologiques les plus efficaces contre les vendeurs
d’illusions de tous acabits.
La laïcité de l’Etat malien est gravée
dans le marbre et est consacrée par chacune des trois Constitutions qui ont
encadré l’exercice des pouvoirs publics dans notre pays. La Constitution actuelle
revient dessus en son préambule mais également en ses articles 18 (enseignement
laïc), 25 (République laïque) et surtout 118 qui indique qu’aucune révision
constitutionnelle n’est possible si elle revenait sur la forme laïque de
l’Etat. Cette laïcité revendiquée et affirmée rejoint parfaitement une laïcité
encore plus ancienne et qui nous est familière en l’occurrence la profonde
laïcité sociale à conjuguer avec le profond humanisme et la grande ouverture
aux autres observées par les maliens au fil de l’histoire. Cet esprit
d’ouverture, cette harmonie sociale rarement pris en défaut ont façonné notre
société et l’ont amenée à se tenir éloignée de tous les extrêmes. Le territoire
du Mali actuel a abrité de nombreuses formes très évoluées d’organisations
humaines, des civilisations qui se sont caractérisées par l’acceptation des
hommes et des groupes d’humains quelque soit leur confession religieuse. Des
civilisations qui, même fortement imprégnées de valeurs religieuses, ont
toujours toléré la coexistence avec des convictions différentes. La Charte du kurukan fuga,
l’organisation sociale et les relations entre les obédiences religieuses sous
le magistère du Kaya Maghan, on encore plus près de nous l’ouverture d’esprit
des sages de Tombouctou constituent autant d’exemples de tolérance de la
diversité, de respect des minorités et de bonne entente des religions. Notre République laïque repose de ce fait sur
une société laïque. Cela est incontestable et devrait continuer à l’être.
C’est en cela que le Mali ne peut être
extrémiste ! C’est en cela que le malien d’aujourd’hui ne peut être
extrémiste ! Nous en voyons tous les jours des illustrations, notamment au
Nord de notre pays ou des populations désarmées s’opposent à l’application de châtiments
insensés à des êtres humains.
Nous devons nous adosser à ce fond
culturel et religieux de tolérance pour poser les jalons d’un Etats tolérant
mais qui intègre la religion comme un facteur d’intégration et de cohésion. Un
Etat qui va collaborer avec elle vers cet objectif pour accroître sa propre
assise et éloigner définitivement de nous toutes les menaces que pourraient
constituer l’importation d’idéologies aussi obscures qu’inefficaces. C’est le
défi que le Mali et l’Etat malien devront relever aujourd’hui et sans doute
demain. Ils en ont les moyens.
Dans le passé récent, la laïcité a été
malheureusement revendiquée en des occasions n’ayant que peu de lien avec ses
conceptions originelles et surtout elle est évoquée pour justifier certains
choix ou décisions n’ayant qu’un rapport lointain avec elle. Il est maintenant
de bon aloi d’évoquer la laïcité à chaque occasion où est mis en discussion des
sujets qui heurtent les convictions religieuses. Comme ci la laïcité est
synonyme d’anti religieux et de promotion de ce qui va à l’encontre des
préceptes religieux. Nous nous orientons ainsi vers un environnement malsain où
seront opposés laïcité et religion, République et religion au grand dam de la République et de la
religion et surtout au grand dam de la société. C’est pourquoi il est urgent de
réaffirmer la laïcité de l’Etat mais en même temps de réaffirmer tout autant
l’impérieuse intelligence entre la République laïque et les religions. Cette bonne
intelligence qui a gouverné l’exercice des pouvoirs qui se sont succédé sur ce
territoire pendant plusieurs siècles.
L’Etat laïc doit être consacré. Il
signifie un pouvoir qui s’acquiert et qui s’exerce selon des règles établies
s’imposant à chaque citoyen et convenues de manière consensuelle entre tous. Il
signifie une administration publique au service de tous les citoyens sans
distinction et dont les responsabilités sont dévolues selon des principes non
discriminatoires. Il est synonyme de satisfaction des besoins de base des
citoyens afin de leur procurer des chances égales leur permettant de se
réaliser et de contribuer aux charges de la communauté. L’Etat Républicain laïc
repose sur des règles précisant dans les détails la mise en œuvre de ce qui est
présenté ci dessus. Ces règles sont motivées essentiellement par l’efficacité,
la pratique et l’applicabilité. Elles sont d’ordre temporel comme l’est
d’ailleurs l’Etat et n’ont pour d’autre horizon que celui fixé par leurs
concepteurs. Elles ne sont pas inamovibles et varient avec le temps en fonction
de l’évolution de l’environnement et de l’espace concernés par leur
application.
Ces indications sont incontestables et
incontestées par une majorité écrasante de notre pays. Il faut les renforcer.
Mais il faut le faire en bonne intelligence avec les religions en tenant compte
de leurs spécificités. Une religion relève principalement du domaine intemporel
et immuable. Elle est fondée sur une croyance et une foi qui gouvernent la vie
d’un individu. Elle procède de rapports entre l’homme et son créateur. Une
religion est également synonyme de règles, pratiques, comportements à adopter
par l’individu pour vivre sa foi pour mériter de son créateur. Elle est
porteuse de valeurs morales et spirituelles ayant des rapports avec les
comportements sociaux.
Les êtres qui embrassent une religion
sont portés par cette synthèse entre la foi, la conviction, les valeurs et
règles qui gouvernent leurs existences et auxquels ils sont foncièrement
attachés. La religion constitue ainsi un referant supérieur pour l’individu au
moins au même titre que les règles publiques dictées par l’Etat.
Il résulte de la présentation d’une
part de l’Etat et d’autre part de la religion qu’une confrontation est
théoriquement possible entre eux en raison du même sujet susceptible d’être
concerné par leur déploiement. Confrontation qu’une attitude intelligente
permettra d’anticiper, de gérer, de diluer et de réduire de manière
significative. C’est à cette intelligence qu’il faut convier l’Etat car des
deux, c’est lui qui par définition est chargé de l’harmonie sociale et surtout
qui possède les ressorts nécessaires pour amortir les chocs. L’Etat se doit
d’étrenner sa laïcité de manière intelligente avec les religions. Il a des
efforts importants à fournir pour ce faire.
Le premier effort à fournir par l’Etat
est d’intégrer le fait religieux comme une des valeurs significatives de notre
société et de le prendre en compte comme tel. Il s’agit d’aller très largement
au delà des visites de courtoisie, de la prise en compte des leaders religieux
dans les instances, du soutien fait aux organisations religieuses ou encore de
l’exercice par les leaders religieux de certaines fonctions d’intermédiation.
Il s’agit d’intégrer une bonne fois pour toutes que les règles religieuses,
dans les domaines où l’Etat ambitionne de légiférer, sont autant sinon plus
légitimes pour les citoyens que d’éventuelles règles publiques. Il s’agit donc
de préserver dans la mesure du possible
la vie sociale, les croyances individuelles du domaine de la législation. Eviter
de légiférer là où les convictions, les croyances s’imposent aux individus et
qui ne contraint nullement l’harmonie sociale. Autrement dit il s’agit pour
l’Etat d’éviter de vouloir faire le bonheur des citoyens malgré eux-mêmes. Ce
principe doit gouverner nos choix politiques et illustre mieux que les longs
développements la bonne intelligence qu’il convient d’instaurer entre l’Etat et
les religions. Cela nécessitera quelques fois des négociations de tous les
instants avec les uns et les autres. Cela prendra aussi du temps pour certains
dossiers importants ou qui suscitent les réactions les plus tendues, mais en
s’inscrivant dans une démarche de prise en compte des légitimes appréhensions
des uns et des autres, en misant sur les évolutions dues au temps et à la
confiance entre les responsables étatiques et religieux, on parviendra
progressivement à faire de notre Etat un dispositif accepté par tous et
revendiqué par chacun. La bonne combinaison entre la prise en compte des
convictions intimes et quelques nécessités d’ordre collectif nous aidera à
avancer vers ce dispositif. L’exemple du traitement du dossier relatif au code
des personnes et de la famille illustre bien le devoir d’adaptation de l’Etat.
Nous devons nous en inspirer.
La bonne intelligence avec les
percepts religieux se traduira par des innovations importantes en matière de
législations notamment sociales. Cela améliorera la collaboration et la
confiance entre les autorités et les organisations religieuses.
En la matière, il faut engager les
autorités, notamment au niveau local, à collaborer avec les leaders religieux
pour traduire davantage dans les faits le compagnonnage Etat – religion sans
enfreindre le principe de laïcité. Ce compagnonnage facilitera l’instauration
d’une collaboration durable entre l’Etat et le culte. Il s’agira à ce niveau,
pour les autorités étatiques, d’envoyer un message clair et sans ambiguïté aux
responsables religieux : l’Etat a un intérêt vital dans le soutien aux
religions et les religions gagneraient à une bonne collaboration avec l’Etat.
Cela d’autant plus que certaines
croyances seront situées en dehors du champ législatif et réglementaire et
continueraient à gouverner la vie de ceux qui les adoptent.
Il nous faut faciliter l’installation
des lieux de culte en instruisant aux collectivités territoriales de
donner facilement les autorisations d’ouverture et d’accompagner les lieux de
culte sous leur ressort. Il faut que l’Etat organise mieux la répartition des
jours fériés pour permettre aux croyants de mieux pratiquer leurs cultes notamment
à l’occasion des fêtes religieuses.
Il faut ensuite que l’Etat apprenne à
travailler avec les valeurs religieuses et s’organise pour les défendre et les
promouvoir, non pas au nom d’une croyance religieuse donnée mais pour le bien
être de la société, une de ses fonctions majeures. Ces valeurs sont porteuses
de renouveau et de changement de mentalités. Il ne faut pas hésiter à les
revendiquer et à les soutenir, aussi bien au niveau central mais également à
travers les collectivités territoriales. Certaines mesures sont à envisager
dans cette perspective. Ces mesures qui se justifieraient en elles mêmes et qui
auront de surcroît l’avantage d’avoir le soutien de nos confessions
religieuses. La lutte pour la préservation de nos bonnes mœurs, de nos valeurs
traditionnelles et sociétales ainsi que la protection de l’enfance constitue
une bonne occasion pour l’Etat sur ce chantier de promotion des valeurs
religieuses. Il nous faut renforcer de manière conséquente les forces de
l’ordre impliquées à ce niveau, engager le chantier de l’alourdissement des
sanctions en la matière. L’Etat doit s’intéresser rapidement à la question de
la prolifération des maisons closes et des hôtels de prostitution en
collaboration avec les collectivités dans le sens d’un durcissement des
conditionnalités de leur fonctionnement et surtout dans le sens du strict
respect des textes en la matière. Il nous faut mieux contrôler l’accès aux
lieux de réjouissance publique et veiller à ce qu’ils ne puissent être
fréquentés par des mineurs. Les autorités doivent apprécier la possibilité de
traquer les images obscènes et les termes insultants dans tous les domaines
relatifs à l’espace public : films, chansons, danses, écrits, romans….Des
efforts similaires sont à faire au niveau de l’accès aux services publics qui
doit proscrire dans tous les bâtiments publics les habillements osés. Au niveau
de l’école, on doit tendre vers la systématisation et la normalisation de la
tenue scolaire ainsi que les modes de couture de cette tenue. De manière générale,
les comportements qui jurent avec la morale ou qui choquent nos consciences
sont à combattre. Il en est par exemple des incivilités relatives à tout
comportement de manière générale qui est négative pour la vie en communauté et
que le pouvoir public se doit de combattre. Sur ces chantiers, l’Etat aura
forcement les religions comme alliés, ce qui accroîtra ses chances de succès.
Il aura également moins de difficulté à
inviter les chefs de famille, les leaders de communautés, les leaders d’opinion
à participer dans cette vague de moralisation de la vie sociale, publique et
nationale.
En plaçant l’action publique sous le
signe des valeurs, l’Etat malien instaurera un axe de collaboration de
compagnonnage significatif avec les religions. Ces dernières, notamment celles
observées par les maliens, ont beaucoup de points communs qu’il convient de
soutenir pour mieux asseoir la légitimité de nos pouvoirs publics. Dans un
contexte ou le politique, le public ou les leaders sont plutôt synonymes d’anti
valeurs, si l’Etat fonctionne de nouveau selon ces principes, s’il parvient à
imposer à ses serviteurs leur respect, il gagnerait une place importante auprès
des religions et de leurs serviteurs.
Le dernier chantier de collaboration
intelligente entre les religions et l’Etat au bénéfice de la société et de sa
protection contre le développement d’idées extrémistes est la promotion des
valeurs religieuses au sein de notre société à travers une meilleure
connaissance des religions. Nos concitoyens, comme d’autres, ne disposent que
d’une connaissance limitée de leur religion. Connaissance se résumant souvent
aux pratiques qu’ils découvrent au sein de leur famille et qu’ils perpétuent
ainsi de génération en génération. Ils sont réduits à cela par la pauvreté de l’offre
de formation et de sensibilisation, liée à la faiblesse des prédicateurs et des
leaders religieux dont certains, malheureusement, n’ont qu’une connaissance
limitée de règles qu’ils doivent promouvoir. La faiblesse idéologique de nos
populations est patente et les expose à des manipulations et à toute autre
forme d’exploitation. Il est déplorable de constater que certains leaders
religieux, n’ayant pas intérêt à l’éveil idéologique des fidèles, ne font rien
pour renforcer les connaissances de ces derniers. Il est souhaitable que l’Etat
s’implique dans ce chantier d’éveil idéologique et religieux des maliens pour
qu’ils puissent être plus forts, plus religieux, plus formés afin de renforcer
les fondements de notre société. La connaissance des religions, autrement que
par l’aspect pratique et physique ou encore la répétition des mêmes gestes, est
absolument impérieuse. Elle passera par le soutien à une formation pointue et
approfondie des leaders religieux, à leur éveil à la modernité et aux
technologies, à leur sensibilisation à la marche de monde pour qu’ils puissent
être des vecteurs puissants d’éveil des citoyens. Nous ne devons pas hésiter à
mettre en place des formations universitaires, des structures de recherche, des
bourses d’études en collaboration avec les pays partenaires pour améliorer de
manière significative la formation des leaders religieux. Avec les
organisations religieuses, nous devons établir des collaborations permettant
d’avoir un impact sur les prêches et autres sermons à servir aux populations.
Les activités de prêches publiques, les conférences, les différents canaux de
communication publique doivent être utilisées pour accroître la sensibilisation
et la formation des citoyens. Là également, au niveau local, les collectivités
territoriales doivent être encouragées à travailler avec les organisations
religieuses pour utiliser les moyens efficaces permettant d’éveiller, de
construire idéologiquement et de conscientiser le malien pour qu’il maîtrise
mieux sa religion, qu’il en perçoive les fondamentaux afin de pouvoir les
appliquer dans sa vie quotidienne. Cela aura surtout comme effet de l’éloigner
définitivement de tous les extrêmes. Le meilleur rempart contre les extrêmes
est l’éducation et la formation. Ce n’est pas par la réprobation, les
invectives ou, pire, la politique de l’Autriche qu’on y arrivera. La religion
est bien le meilleur rempart contre les extrémistes religieux !
Le grand chantier d’édification d’un
Etat efficace dans notre pays, et au delà en Afrique, passera aussi par la
prise en compte intelligente des facteurs sociaux et particulièrement des
religions. L’Etat malien laïc souhaitable sera ainsi cet Etat qui agira
conformément à l’esprit républicain tout en tenant compte des réalités sociales
donnant aux religions une place prépondérante avec laquelle il faut habilement
composer. Pour les religions mais surtout pour lui et pour le pays !
Moussa MARA
moussamara@moussamara.com
1 commentaire:
Cher Monsieur Mara, votre idée est trés intéressante. Essayez de faire un forum avec les allemands, car ils ont presque le même systéme que vous préconisez...mais pas de Charia s.v.p., car tout être humain doit avoir le libre arbitre.
Salam
Une patriote malienne
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