TRIBUNE LIBRE DE RICHARD LE HIR
Troisième Guerre Mondiale
C’est pour bientôt
La France et le Canada avalés par la folie guerrière des États-Unis et d’Israël ?
À la toute fin du mois de
novembre, la détérioration rapide et alarmante de la situation politique
en Europe et au Moyen-Orient m’avait amené à soulever la possibilité, sur Vigile, du déclenchement d’une Troisième Guerre Mondiale .
J’avais en effet été sidéré de
découvrir, sur un site américain d’information financière, l’extrait
d’un bulletin de nouvelles chinois où un responsable militaire de haut niveau
avertissait les États-Unis, le Canada et la France, que son pays
n’hésiterait pas à protéger l’Iran contre toute agression, même au
risque d’une Troisième Guerre Mondiale .
Cet
article avait attiré l’attention d’un journaliste algérien qui
communiqua avec moi quelques semaines plus tard pour savoir si je serais
disposé à expliciter ma position dans une entrevue qui serait publiée
dans son journal en début d’année. Sans me douter le moindrement du
traitement qui serait réservé à cette entrevue (manchette en première page), et de la diffusion qu’elle allait connaître
, j’acceptai son invitation à répondre à une série de questions qui
allaient me permettre d’aborder le cas de la Syrie et de suggérer
qu’avec l’alignement des positions russe et chinoise sur la question du
Moyen-Orient, nous étions en train d’assister à une réémergence des
blocs, comme au temps de la Guerre Froide.
Les événements de l’hiver
allaient me donner raison. Au cours des derniers mois, la Chine et la
Russie ont exercé à trois reprises leur droit de veto au Conseil de
sécurité des Nations Unies pour contrecarrer la volonté des États-Unis
de la France et du Royaume-Uni d’intervenir militairement en Syrie pour
déloger le gouvernement de Bachir Al-Assad et favoriser un changement de
régime.
Et malgré tous les efforts en
sous-main pour déstabiliser Assad, celui-ci demeure encore en poste, un
exploit qui serait totalement impossible s’il ne jouissait pas du
soutien très large de la population syrienne. Ceux qui en doutent
feraient bien de se remémorer l’effondrement du régime communiste en
ex-Allemagne de l’Est et la chute du mur de Berlin, en quelques jours,
sans aucune effusion de sang. Et pour des exemples plus locaux, voir le
renversement des régimes Ben-Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte,
relativement pacifiques.
Après avoir évincé les
« contras » de Homs et de Damas, revenues à la paix civile, le régime
Assad tente désormais de les déloger de deux quartiers d’Alep, toute
proche des frontières de la Turquie qui les alimente en hommes et en
armes. Et le spectacle de ces centaines de milliers d’habitants qui
fuient les quartiers sous contrôle des contras pour se réfugier dans les
quartiers contrôlés par les forces du régime Assad confirme éloquemment
la légitimité démocratique de son pouvoir.
Aucun régime ne peut tenir très
longtemps contre la volonté de sa population. Et c’est justement
l’absence de cette volonté populaire de changement qui nous amène à nous
questionner sur les raisons profondes de pays comme les États-Unis, la
France, le Royaume-Uni et le Canada à souhaiter si ardemment un
changement de régime en Syrie après l’avoir souhaité et obtenu en Libye,
et l’avoir souhaité sans l’obtenir en Iran (fiasco de la Révolution
Verte).
Pour ce qui est des États-Unis,
les motivations sont assez claires, même si les intérêts (pas
nécessairement les mêmes) et l’influence politique d’Israël viennent un
peu brouiller les cartes. Mais c’est quand on se met à s’interroger sur
les motivations de pays comme le Royaume-Uni, la France et le Canada que
le problème se complexifie.
Le cas du Royaume-Uni est assez
facile à régler. Ce pays a depuis longtemps fait le choix de l’alliance
géostratégique avec les États-Unis, mais était malgré tout parvenu à
conserver une certaine indépendance dans sa politique étrangère au
Moyen-Orient sur la base de sa longue expérience politique dans cette
région du monde.
Cette situation allait changer
dramatiquement après le 11 septembre 2001 et le déclenchement de la
guerre contre l’Irak. Le premier ministre travailliste Tony Blair causa
une certaine surprise, du moins dans ses propres rangs, en s’alignant
sans hésitation et sans faille aux côtés des États-Unis de George W.
Bush, alors que la France de Chirac et le Canada de Jean Chrétien
refusaient de le faire.
La France était parvenue à
maintenir pendant toutes les années depuis le départ de De Gaulle
jusqu’à l’arrivée de Sarkozy au moins les apparences d’une certaine
indépendance vis à vis des États-Unis et d’un préjugé favorable aux pays
musulmans qui s’expliquait, comme dans le cas des Anglais, par sa
longue fréquentation de cette culture.
Pays
colonial, la France a imposé pendant longtemps sa tutelle sur le Maroc,
l’Algérie et la Tunisie. Ceux qui sont moins familiers avec l’histoire
de France savent moins que la France de Napoléon s’était aventurée
jusqu’en Égypte et que, même si cette aventure fut de courte durée, elle
était parvenue à y conserver une importante influence culturelle et
commerciale, dans ce dernier cas avec la construction par Ferdinand de
Lesseps du Canal de Suez à compter de 1858 et son exploitation de 1868
jusqu’en 1957 par La Compagnie universelle du canal maritime de Suezen vertu d’une concession emphytéotique de 99 ans.
« À la suite de la
nationalisation du canal par Nasser en 1956, quand le patrimoine
égyptien de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez a été
transféré à la Suez Canal Authority, la société touche d’importantes
indemnités car elle dispose d’une concession jusqu’en 1968. Rebaptisée
Compagnie financière de Suez en 1958, elle engage sa reconversion en
multipliant participations et investissements dans divers secteurs de
l’économie.
On notera au passage qu’il s’agit
de l’entreprise à l’origine de GDF-Suez dans laquelle le duo Paul
Desmarais/Albert Frère détient une participation importante.
Il faut aussi rappeler que la
France et la Grande-Bretagne s’étaient partagé les dépouilles de
l’empire ottoman en 1920, et que la France avait pour sa part hérité de
ce qui allait par la suite devenir la Syrie et le Liban. Quant au
Royaume-Uni, il récupérait l’Irak, la Transjordanie et la Palestine. Le
Liban allait acquérir son indépendance en 1943, la Syrie en 1946, et
Israël, découpée dans le territoire de la Palestine par les Nations
Unies, en 1948.
La présence de la France sur
l’échiquier politique du Moyen-Orient est donc une donnée de base,
d’autant plus que d’importants liens commerciaux ont survécu au
mouvement de décolonisation après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.
On comprendra dès lors que la
France ait joué un rôle actif dans la Crise du canal de Suez qui
survient en 1956, lorsque l’Égypte de Gamal Abdel Nasser décide de
nationaliser le canal. Wikipédia résume succinctement les faits de la façon suivante :
« La crise du canal de Suez, aussi connue sous le nom de guerre de Suez, campagne de Suez ou opération Kadesh, est une guerre qui éclata en 1956 en territoire égyptien. Le conflit éclata entre l’Égypte et une alliance secrète, le protocole de Sèvres, formée par l’État d’Israël, la France et le Royaume-Uni, suite à la nationalisation du canal de Suez par l’Égypte.Cette alliance entre deux États européens et Israël répondait à des intérêts communs : les nations européennes avaient des intérêts politiques, économiques et commerciaux dans le canal de Suez, et Israël avait besoin de l’ouverture du canal pour assurer son transport maritime (ce dernier justifiait toutefois son intervention militaire contre l’Égypte comme étant une réponse aux attaques fedayins qu’il subissait de plus en plus régulièrement sur son territoire). De plus cette crise est considérée comme particulièrement importante car elle survient pendant la période de guerre froide. Plus que les intérêts des pays européens, elle symbolise aussi une union encore contestée de l’Union soviétique et des États-Unis (deux blocs en opposition) et constitue donc un moment clef de cette période de conflits. L’union reste contestée car il semble qu’elle aurait aussi pu être interprétée comme une sorte « d’échange de bons procédés » entre les deux puissances. Ce sont ces deux États qui ont imposé l’arrêt du conflit en renvoyant chez elles les forces françaises et britanniques. [...] »
La crise de Suez allait être
l’occasion de la première grande intervention du Canada en politique
internationale avec sa proposition de créer une force d’interposition
entre les belligérants (les Casques Bleus). Voici comment l’Encyclopédie
canadienne présente l’affaire :
« Le 26 juillet 1956, le
président égyptien Nasser s’empare de l’importante Compagnie du canal de
Suez, qui exploite le canal depuis 1869 ; les principaux actionnaires
de la compagnie sont la France et l’Angleterre. Cette occupation par
Nasser du canal reliant la Méditerranée et la mer Rouge porte un coup à
la fierté et au commerce de l’Occident. La diplomatie ayant échoué,
l’Angleterre, la France et Israël conviennent en secret d’une action
contre l’Égypte. Israël passe à l’attaque le 29 octobre et, en un seul
jour, avance à un peu moins de 42 km du canal. Tel que convenu avec
Israël, l’Angleterre et la France somment Israël et l’Égypte de se
retirer de la région immédiate du canal. Nasser refuse. Le 31 octobre,
l’Angleterre et la France interviennent directement en bombardant la
zone du canal.
Dans les coulisses, le
gouvernement du Canada se montre irrité par ce geste qui divise le
Commonwealth et qui aliène les États-Unis. Toutefois, publiquement, le
Canada joue le rôle de conciliateur. Le 4 novembre, L.B. Pearson,
secrétaire d’État aux Affaires extérieures du Canada, et ses collègues
aux Nations Unies obtiennent un appui écrasant de l’Assemblée générale
en proposant la création d’une force internationale chargée de maintenir
la sécurité et de coordonner la cessation des hostilités. Le général
canadien E.L.M. Burns est aussitôt nommé commandant de la Force
d’urgence des Nations Unies (FUNU). Les Anglais et les Français décident
cependant de passer outre à la résolution de l’ONU et larguent des
parachutistes dans la zone du canal tard le 4 novembre. Grâce à la
pression, principalement américaine, exercée sur le premier ministre
britannique sir Anthony Eden, un cessez-le-feu est conclu le 6 novembre.
Pearson se bat avec succès pour que des soldats canadiens fassent
partie de la FUNU, dont les unités d’avant-garde arrivent à la
mi-novembre. Bien que Pearson reçoive le Prix Nobel de la paix en 1957
en récompense pour ses efforts de conciliation, bien des gens en
Angleterre et au Canada sont consternés par le manque apparent de
soutien envers l’Angleterre de la part d’Ottawa. La défaite du
gouvernement libéral aux élections générales de 1957 est sans doute en
partie attribuable à ce facteur. »
En 1956, la France est dirigée
par un gouvernement socialiste aux prises avec la décolonisation. Elle a
perdu l’Indochine à l’issue d’une guerre en 1954, et cherche encore à
conserver l’Algérie. Ces conflits la déchirent sur le plan politique et
la laissent exsangue sur le plan financier, conditions qui vont
favoriser le retour aux affaires du général Charles De Gaulle, l’homme
qui a sauvé la France de la déroute en 1940 et qui s’est retiré « en
réserve de la République » en 1946, en désaccord avec l’Assemblée
constituante élue pour doter la France d’un nouveau régime politique sur
la question des rôles respectifs de l’État et des partis politiques.
De Gaulle, c’est également
l’homme qui a tenu tête aux Américains, aux Anglais et aux Russes malgré
la précarité de sa position, et qui a permis, par la force incroyable
de sa volonté, que la France figure parmi les vainqueurs de la Seconde
Guerre Mondiale.
Pour De Gaulle, tout tenait à « une certaine idée » qu’il se faisait de la France :
« Toute ma vie, je me suis fait
une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que
la raison. Ce qu’il y a en moi d’affectif imagine naturellement la
France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des
murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J’ai
d’instinct l’impression que la Providence l’a créée pour des succès
achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité
marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une
absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la
patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la
France n’est réellement elle-même qu’au premier rang : que seules de
vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de
dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays tel qu’il
est, parmi les autres, tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger
mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne
peut être la France sans grandeur. » (Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome 1, Plon, Paris, 1954)
Dans les dix années qui suivent
son retour aux affaires, De Gaulle va remettre la France sur pied,
d’abord sur le plan économique, avec la collaboration de son ministre
des Finances Antoine Pinay, et de son principal conseiller Jacques
Rueff, Ce dernier croit aux vertus disciplinaires de l’or pour empêcher
la fuite en avant par les déficits, sur lesquels les États-Unis
commencent à compter pour financer leur guerre au Viet-Nam.
La France est bien placée pour le
savoir. Les coffres de la Banque de France débordent des dollars US que
les banques françaises encore majoritaires au Vietnam après son
indépendance lui envoient sans dérougir. De Gaulle décide d’exiger sa
conversion en or au taux officiel de 35 $ l’once » Il envoie aux
États-Unis des navires de guerre chargés de dollars, et ceux-ci rentrent
en France chargés de l’or obtenu en échange. Les Américains sont
furieux.
Et ils le sont encore davantage
lorsqu’ils voient De Gaulle se lancer, sur la base du redressement
économique de la France et de l’indépendance qu’elle lui confère, dans
une offensive diplomatique tous azimuts qui l’amènera à quitter l’OTAN,
se doter de l’arme nucléaire et proposer aux pays non alignés une
troisième voie dans une série de discours à travers le monde qui vont
s’inscrire résolument en faux contre les pratiques hégémonistes
américaines.
Ainsi, le 28 septembre 1964, De Gaulle déclare en Bolivie« Que chaque peuple dispose à tous égards de lui-même, afin que son avance en fait de civilisation soit effectivement la sienne. Qu’il fasse en sorte que son progrès soit celui de tous ses enfants pour susciter dans les profondeurs les ardeurs et les capacités qui multiplient les efforts, qu’il transforme en émulation créatrice et productrice par rapport aux autres nations, ce qui demeure trop souvent rivalité d’ambitions, que les puissances qui en ont le moyen prêtent leur concours au développement des moins avantagés, cela suivant les affinités réciproques, et sans qu’il y ait, sous aucune forme, intervention étrangère dans les affaires de qui que ce soit, voilà, en effet, quelles sont, pour la France, les conditions nécessaires de l’équilibre général, du progrès de tous et de la paix dans l’univers. » (Pochette du disque « Charles De Gaulle, Discours aux peuples du monde », Disques Déesse DDLX 87, Paris)
À Pnom-Penh, le 1er septembre 1966, De Gaulle s’en prend directement à la soif de guerre des États-Unis
. Voici le commentaire du professeur et président du parti UPR François
Asselineau dans le cadre de la dernière campagne présidentielle
française :
« Le 1er Septembre 1966, présent
dans la capitale Cambodgienne, le Général de Gaulle prononce devant plus
de 200 000 personnes, le « Discours de Phnom-Penh ». Ce discours est un
des plus habiles de l’histoire politique de l’humanité. En effet, tout
en rappelant l’indépendance de la France, il affirme l’existence d’une
troisième voie représentée par les non-alignés. Cependant, le Général de
Gaulle est également visionnaire et marque un tournant dans la manière
d’envisager les relations Internationales pour les anciennes puissances
coloniales. Ces propos ont été ressentis à l’époque comme une gifle et
une trahison par les américains alors en guerre au Vietnam. Les
Américains outrés, n’ont alors pas compris toute la subtilité et les
nuances de ces paroles car il rend aussi un hommage aux valeurs de
libertés qui fondent la démocratie américaine. Ils n’ont pas non plus
saisi la lucidité de ses propos. En 1968, c’est à Paris que s’ouvrira la
conférence qui mettra fin à la guerre du Vietnam (la guerre la plus
inutile et la plus chère de l’histoire des Etats-Unis après la guerre
d’Irak). Ce qui est impressionnant, c’est qu’après plus de 40 ans, ces
paroles résonnent encore d’une manière originale et sont plus que jamais
d’actualité concernant par exemple la guerre en Afghanistan. » (Voir aussi)
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