Rapport d’experts français : Comment la France veut combattre AQMI Procès Verbal 15/08/2012
Dans la 4ème partie du rapport
parlementaire français daté de mars 2012, les experts hexagonaux dégagent les
failles et les forces des stratégies de lutte contre Al-Qaida au Maghreb
islamique (AQMI). Et mesurent le dégré d’engagement des Etats sahéliens dans la
lutte contre AQMI.
AQMI,
un piège pour la France
? La
France est une cible prioritaire d’AQMI, laquelle éprouve une forte
haine pour notre pays. Ce sentiment n’est pas nouveau: le terrorisme islamiste
des années 90 a
frappé les intérêts français, que ce soit sur son sol (attentats à la bombe de
1995 et 1996), ou en Algérie (détournement de l’Airbus d’Air France en 1994,
assassinats de plusieurs compatriotes dont l’évêque d’Oran, en 1996…). Les
motifs de cette violence étaient historiques et politiques. La France était l’ancienne
puissance coloniale et accusée de soutenir le régime algérien. Au-delà du
passé, la France
est visée pour sa participation à la lutte antiterroriste et sa présence en
Afghanistan. Lui sont reprochées sa laïcité et l’adoption de lois la défendant,
telle celle interdisant le port du voile intégral. Perçue comme ennemie de
l’islam, la France
doit, dès lors, être punie pour ce qu’elle fait et ce qu’elle est. Ainsi Ben
Laden a-t-il, à deux reprises, menacé les Français, une « attention » rare
réservée auparavant aux seuls Etats-Unis. Le 27 octobre 2010, il a lié le sort
des otages capturés à Arlit à la politique française en Afghanistan.Puis, le 21
janvier 2011, il somma nos troupes de se retirer de ce pays au risque de
représailles. Al-Zawahiri,
longtemps son adjoint et aujourd’hui à la tête d’Al Qaida, n’est pas en reste.
En 2007, il a appelé à « nettoyer
les terres du Maghreb islamique des enfants de la France et de
l’Espagne ». En 2009, il affirma que notre pays devrait payer
en raison des débats sur le foulard et le niqab, la France étant, selon lui,
l’ennemie de l’islam…depuis Napoléon Ier. Ce fanatisme se décline dans le
discours d’AQMI. Les avions militaires occidentaux qui survolent la région sont
surnommés « Sarkozy » par
les hommes d’AQMI. On prête à Abou Zeid, chef d’unekatiba d’AQMI, le refus de prononcer tout mot français,
la langue des « infidèles ». Cette
haine à l’égard de la France
a engendré des actions meurtrières restées, jusqu’ici, cantonnées au continent
africain. AQM ni aucune autre branche d’Al Qaida, n’a jamais pu frapper le
territoire français. Le dernier attentant sur notre sol remonte à 1996. Al
Qaida n’a pu non plus frapper un pays européen depuis les attentats de Londres
de juillet 2005. En ce sens, l’« internationale »terroriste a
échoué. Les services occidentaux ont réussi à contrer plusieurs actions
terroristes et à démanteler des cellules un peu partout en Europe. Outre son
incapacité à étendre le djihad dans le monde et en Europe, Al Qaida a subi de
lourds revers dans les années 2000. En Irak, la mort de son chef, Al- Zarqaoui,
tué par les Etats-Unis, en 2006,
a été accompagnée d’un tarissement du flux de
combattants en provenance du monde arabe et de l’effondrement de son rêve
d’instituer un « Etat
islamique » dans ce pays. En Arabie saoudite, la branche
d’Al-Qaida a été brisée en 2005. Au Pakistan, l’organisation a fait l’objet de
bombardements incessants: nombre de ses cadres y trouvèrent la mort, le dernier
en date étant BadarMansoor, chef d’Al Qaida au Pakistan. Il a été tué, le 8
février 2012, par un drone américain à Miranshah, dans le Waziristan.
La perte la plus considérable pour Al Qaida est la
mort de Ben Laden, tué par les forces américaines, à Abbottabad, au
Pakistan, le 2 mai 2011. Ces revers n’ont pas été sans conséquence sur AQMI.
Cette dernière a vu se déliter l’organisation à laquelle elle avait prêté
allégeance en 2006 et pour laquelle elle avait été susceptible de servir de
marchepied pour mener des actions sur le sol européen. L’aura d’AQMI n’en est
menacée. Si, par le passé, elle pouvait attirer de jeunes Maghrébins pour aller
combattre en Irak, sa capacité d’attraction est aujourd’hui quasi-nulle.
Repliée au Sahel et incapable de frapper l’Europe, AQMI s’est engagée dans une
fuite en avant désordonnée dont la haine de l’Occident est un moteur. Ses katibas se sont engagées dans une
spirale de violence mêlant à la fois des considérations idéologiques et le
recours au « gangstero-djihadisme » po ur
se financer. Le piège pour la
France serait, aujourd’hui, de répondre aux provocations et
de favoriser une escalade. Un déploiement massif de forces françaises sur le
terrain satisferaient AQMI car permettrait de magnifier sa confrontation contre
les« croisés ».
Composée de fanatiques, AQMI est une menace qui doit être combattue en
s’appuyant sur les Etats de la région. Combattre AQMI uniquement par les armes
ne serait pas approprié et s’inscrirait dans la logique d’affrontement de
civilisations que cette organisation entend promouvoir.
L’ensemble de ces
moyens permet de mettre en oeuvre, sur court préavis, des capacités de
renseignement et d’intervention pouvant être utilisées contre AQMI. Par
exemple, rapidement après l’enlèvement des 5 Français et des 2 étrangers, à
Arlit, en septembre 2010, la
France a pu déployer au-dessus de la zone des avions de
patrouille maritime Atlantique 2, en provenance notamment de N’Djamena et du
Sénégal. Ces avions peuvent rester en vol pendant 18 h et sont adaptés à
surveiller le désert. C’est de ce même type d’avion – basé temporairement à
Niamey – qu’a été filmé l’accrochage entre les forces françaises et les
terroristes d’AQMI qui avaient enlevé Vincent Delory et Antoine de Léocour, à
Niamey, en janvier 2011. La mission Epervier, au Tchad, revêt également un
grand intérêt puisque, à l’instar des autres forces françaises présentes dans
la région, ses moyens sont susceptibles d’être utilisés en soutien des
opérations menées dans la zone, notamment grâce à sa capacité de transport
tactique (avions C160 Transall). Depuis plusieurs années, la présence militaire
française en Afrique fait l’objet d’une réorganisation.Jusqu’en 2008, notre
pays entretenait des forces prépositionnées en Côte d’Ivoire. L’Opération
Licorne a permis de rapatrier, en France, les 484 soldats du 43ème Bataillon
d’Infanterie de Marine qui étaient présents de manière permanente sur le sol
ivoirien. Au Sénégal, la
France devrait, à l’avenir, déployer un maximum de 300
militaires – contre 1200 il y a quelques années – chargés de missions de
formation et de coopération avec l’armée locale. S’agissant du Tchad, la place
des militaires français, présents depuis les années 1980, est particulière car
bien qu’ayant le statut d’opération extérieure, notre dispositif s’apparente
plus à celui de forces prépositionnées. Aucun agenda n’a été fixé, pour
l’heure, concernant l’évolution de cette mission, mais une réduction de nos
forces n’est pas à écarter. Cette reconfiguration a été préconisée par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de
2008 et prescrite par la loi de programmation militaire pour les années 2009 à
2014. Selon ces deux textes, la réorganisation de notre dispositif en Afrique
devait reposer autour de 2 pôles, l’un à l’ouest et l’autre à l’est du
continent. Au-delà de considérations opérationnelles, l’intérêt, pour notre
pays est également financier: maintenir des forces prépositionnées coûte moins
cher que d’affréter, le jour où c’est nécessaire, avions et navires pour
ramener des effectifs en nombre suffisant. Aussi doit-on saluer l’accord de
défense récemment conclu par la
France et la
Côte d’Ivoire, idéalement placée au sud du Sahel. Cet accord
devrait permettre, après l’opération Licorne, le maintien de 300 militaires
français chargés de la formation de l’armée ivoirienne mais aussi d’apporter
une contribution dans la lutte contre le terrorisme. Un travail de mise à jour
du contexte international et stratégique a été entrepris par le Secrétariat général
de la défense et de la sécurité nationale, lequel mentionne à plusieurs
reprises le risque que fait peser l’arc sahélien sur la sécurité des Français.
Il importera de veiller à ce que le Livre
blanc et la loi de programmation militaire à venir tiennent
comptent de cette menace, en prônant le maintien d’une présence militaire
adéquate en Afrique.
Si la présence
française a décru au Sahel du fait de l’extension des zones « rouge
« et orange », elle n’a pas pour autant disparu.Certaines activités
ne peuvent quitter la région et le Quai d’Orsay, par l’intermédiaire de son
centre de crise, a pris des mesures destinées à sécuriser les Français qui
continuent d’y vivre. C’est le cas des ONG et des missions de coopération
décentralisée des collectivités territoriales, nombreuses dans le Sahel. Elles
ont fait l’objet d’actions d’information au risque terroriste. C’est aussi le
cas des entreprises qui font l’objet d’un suivi régulier et avec lesquelles un
dialogue a été engagé pour définir, au mieux, les mesures de protection du
personnel expatrié, quand bien même celles-ci coûtent cher. Il a ainsi été
demandé aux sociétés françaises présentes dans les zones sensibles de produire
des plans de sécurité qui ont ensuite été instruits par le ministère des
Affaires étrangères. La principale entreprise concernée par ce dispositif a été
Areva. L’examen de son plan de sécurité – le plan Milan – a duré six mois. Ce
plan a été approuvé et est en cours de déploiement avec une augmentation
progressive des effectifs. Le nombre d’expatriés français employés directement
par Areva, au Niger, s’élève à 25 personnes. Fin 2012 ou début 2013, la société
devrait en compter 300, avec une montée en puissance liée à l’ouverture du site
d’Imuraren.
L’efficacité de cette
sécurisation va aussi dépendre de l’implication des forces de sécurité locales.
Il faut du personnel formé et équipé. Le Quai d’Orsay coopère en la matière
avec les pays de la région.Si des progrès ont été réalisés au Mali, cela
s’avère compliqué au Niger, qui interdit le port d’armes à feu aux employés de
sociétés privées,par crainte que ces armes profitent aux mouvements touareg.
Depuis l’enlèvement de
32 touristes européens en Algérie, en février 2003, AQMI a amassé un imposant
trésor de guerre, en expansion constante du fait d’exigences toujours plus
élevées.AQMI a aussi réussi à alimenter de vives tensions diplomatiques
concernant l’attitude à adopter face à ses exigences financières. En effet, le
paiement des rançons est à l’origine de controverses entre puissances occidentales
et Etats sahéliens. D’une part, céder aux terroristes revient à les financer.
D’autre part, avec l’inflation des demandes de rançons au cours des dernières
années, s’est répandue l’impression qu’une vie étrangère vaut plus qu’une vie
sahélienne. Une telle approche a des effets dévastateurs auprès des populations
locales qui ne comprennent pas qu’une telle masse argent alimente les auteurs
de violences, au détriment de ceux qui en ont le plus besoin. Dès lors, de
nombreux Etats ont publiquement fait état de leur refus de payer toute rançon.
C’est le cas des pays du champ (Algérie, Mali, Mauritanie et Niger). C’est
aussi le cas du Royaume-uni et des Etats-Unis. Le Conseil de sécurité des
Nations-Unies a pris position, en 2009, en faveur du non-paiement de
rançons. Une telle attitude relève d’un choix politique qui, bien sûr,
peut être difficile à assumer. Abou Zeid a ainsi exécuté un otage britannique,
Edwin Dyer, le 31 mai 2009, à la suite du refus du Royaume-Uni de payer la
rançon demandée. La France,
dont les autorités n’ont jamais officiellement proscrit le paiement de rançons,
est aujourd’hui le pays le plus touché par les enlèvements au Sahel. Or, la
position – ou plutôt l’absence de position – de la France est un élément qui
brouille le message de fermeté qu’elle souhaite faire passer en entretenant, en
Afrique, un dispositif militaire prépositionné assez discret mais réactif dont
elle n’hésite pas à faire usage. Il serait souhaitable qu’une réflexion
s’engage sur l’opportunité d’un changement d’attitude vis-à-vis des demandes de
rançon, dans le but notamment d’assécher les sources de revenus des groupes
terroristes, mais aussi d’anéantir toute incitation aux prises d’otages. Comme
pour nos alliés, ce choix sera difficile et douloureux. Mais il est inévitable
pour éradiquer la violence au Sahel.
Mobiliser les Etats sahéliens. Si la France et les puissances
occidentales ont un rôle à jouer, en particulier en matière de formation et
d’appui logistique, la lutte contre AQMI relève avant tout des Etats sahéliens.Ils
connaissent le mieux le terrain et c’est leur responsabilité première de
s’opposer aux katibas qui,
à partir de leur territoire, commettent des actes terroristes. De surcroît,
AQMI doit d’abord être combattue au niveau local car toute intervention directe
d’Etats étrangers à la régio confortera la mouvance terroriste dans sa
rhétorique anti-occidentale et accroîtra l’instabilité. Cependant, les Etats
sahéliens ont des niveaux d’implication différents et des attitudes parfois
ambiguës.
La Mauritanie est le pays le plus
efficace et le plus actif militairement contre AQMI. A ce titre, elle est
devenue une cible privilégiée des terroristes et a connu de nombreuses attaques
au cours des dernières années, notamment l’assassinat de 4 touristes français à
Aleg (décembre 2007), la mort de 12 militaires mauritaniens (septembre 2008),
l’assassinat d’un citoyen américain à Nouakchott (juin 2009), un
attentat-suicide contre l’ambassade de France (août 2009), l’enlèvement de 3
Espagnols sur la route reliant la capitale à Nouadhibou et de 2 touristes
italiens près de la frontière malienne (novembre et décembre 2009), mais aussi
la tentative d’attentat contre une caserne militaire (août 2010) et celle
contre l’ambassade de France et la présidence de la République (février
2011). On doit saluer la volonté du président Aziz de faire de la lutte
contre AQMI une priorité.Cette lutte a ainsi été organisée sur 2 niveaux: sur
le plan des idées, le fait que la
Mauritanie soit une République islamique a permis de
mobiliser la population sur la base d’un « djihad contre le djihad » d’AQMI; au niveau
opérationnel, les autorités mauritaniennes reconnaissent leur obligation morale
de sécuriser leur territoire et, à cette fin, ont défini une stratégie de
défense dynamique et offensive qui vise à ne tolérer aucune zone de non droit
et à ne pas s’interdire des actions en dehors du territoire comme l’a montré
une opération dans la forêt de Wagadou, en juin 2011. L’armée mauritanienne
coopère avec les forces françaises et a eu l’occasion de mener à plusieurs
reprises des opérations conjointe. Cette politique – qui coûte cher à la Mauritanie – a permis
de freiner les attaques d’AQMI contre des cibles mauritaniennes. Les
autorités locales restent, cependant, en alerte et savent que le risque zéro
n’existe pas. L’implication de la
Mauritanie doit être soulignée aussi dans le domaine
judiciaire. La police a procédé à plusieurs arrestations d’hommes soupçonnés
appartenir à AQMI, certains étant impliqués dans le meurtre des 4 Français, en
décembre 2007, d’autres dans l’enlèvement de 2 Espagnols et d’une Italienne,
près de Tindouf (Algérie), en octobre 2011. En janvier 2012, les autorités
mauritaniennes ont collaboré avec la justice française en acceptant qu’un juge
anti-terroriste français entende, à Nouakchott, un détenu soupçonné
d’appartenir à AQMI et d’avoir été en contact avec le commando qui a enlevé
Vincent Delory et Antoine de Léocour.
Comme la Mauritanie, le Niger
n’est pas épargné par AQMI. En témoignent les enlèvements de
l’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies, Robert Fowler, et de
son assistant, le 14 décembre 2008 et de 4 touristes européens, en janvier
2009, à la frontière du Mali. Par la suite, les événements se sont accélérés
avec un attentat suicide contre une garnison, en mars 2010, et une série
d’enlèvements en moins d’un an: Michel Germaneau (20 avril 2010), les 7 otages
d’Arlit (16 septembre 2010), Vincent Delory et Antoine de Léocour (7 janvier
2011). Depuis ces prises d’otages, le Niger n’a fait l’objet d’aucune attaque
contre des intérêts étrangers. Il est parvenu, jusqu’ici, à éviter toute
installation permanente de groupes liés à AQMI même si les katibas terroristes continuent
d’utiliser son territoire pour circuler, en particulier du Mali vers la Libye. Aidé par la France, qui a accru son
aide après les enlèvements d’Arlit, le gouvernement nigérien fait preuve de
bonne volonté dans la lutte contre le terrorisme, et ce, en dépit de moyens
limités. Il a répondu présent aux demandes de notre pays de mieux sécuriser nos
postes diplomatiques et les vols d’Air France. Il contribue à la reprise des
activés d’Areva sur le site d’Imouraren, malgré le poids que cela représente
sur ses effectifs militaires. Le Niger s’est équipé de 2 avions d’observation
DA42 qui lui donnent des moyens de surveillance. De même,
l’armée nigérienne parvient à intercepter des convois et à assurer une certaine
présence dans le nord du pays. Le Niger s’est enfin fixé pour objectif, d’ici
2012, de mettre sur pied 2 bataillons -soit 1200 hommes- dédiés à la lutte
contre AQMI.
L’Algérie et AQMI sont liées par
l’histoire, la géographie et la sociologie. L’organisation
terroriste, héritière du GIA et du GSPC, y est née et ses cadres sont encore
aujourd’hui essentiellement algériens. Les salafistes sont actifs dans le nord
du pays, y compris près de la capitale. Les autorités algériennes cherchent à
établir une différence entre les actions d’AQMI sur le sol algérien et celles
des katibas sahéliennes.
L’Algérie avance, au rang de ses succès, la victoire remportée contre le
terrorisme intérieur qui a fait des ravages dans les années 90. En effet, les
effectifs de ce dernier sont passés de 20 000 à moins de 500 combattants et la
violence est aujourd’hui moins répandue que par le passé. En revanche, les
efforts pour affronter AQMI n’ont pas été aussi intenses, comme si l’Algérie
n’avait pas été mécontente d’avoir relégué à la marge, dans le Sahara et chez
ses voisins, les terroristes. Les autres Etats sahéliens, qui attendent
beaucoup d’un Etat algérien plus riche qu’eux, regrettent ce désengagement. Jusqu’à
présent, l’attitude de l’Algérie face à AQMI a été ambiguë et a confiné au
double, voire au triple langage. Elle assure prendre au sérieux la menace, mais
s’affirme contre toute action concertée impliquant l’armée algérienne hors de
son territoire et déclare, en même temps, que l’inaction malienne et les
incertitudes en Libye sont une menace directe pour sa sécurité. De même,
l’organisation géographique de l’outil militaire algérien, de loin le plus important
de la région, traduit un fort conservatisme dans la pensée stratégique, car
entièrement tournée vers la » menace » que représenterait le
Maroc.Pourtant, l’Algérie a des atouts pour contribuer à combattre plus
efficacement AQMI. Outre sa proximité historique avec cette organisation et des
moyens supérieurs à ceux de ses voisins, ses services secrets disposent d’un
réel savoir-faire en matière de lutte antiterroriste qui leur a permis
d’arrêter de nombreux djihadistes. Aussi est-il souhaitable que l’Algérie
s’engage plus intensément dans la lutte contre AQMI. Il semble que des efforts
aient récemment été entrepris en ce sens puisque des manoeuvres communes avec
l’armée malienne ont été organisées, juste avant le déclenchement de la
nouvelle rébellion touareg.
Le Mali est le maillon
faible de la lutte contre AQMI et désigné comme tel par ses voisins. Un des reproches
formulés à son encontre serait qu’il aurait choisi de préserver le« pays utile », le sud où sont
concentrés les ressources comme le coton, au détriment d’un nord méconnu et
peuplé de Touareg réputés hostiles au pouvoir. La situation sécuritaire au nord
du Mali s’est dégradée avec, récemment, 2 enlèvements qui ont ému le pays. Le
premier s’est produit le 24 novembre 2011, à Hombori, et a visé 2 Français,
Serge Lazarevic et Philippe Verdon. Le second eut lieu le lendemain, à
Tombouctou, où AQMI s’est emparé de 3 touristes européens et a tué un 4ème
qui résistait. A l’occasion de ces affaires, la presse malienne fut
critique à l’égard des autorités, coupables, selon elle, de laxisme. Plusieurs
facteurs jouent en défaveur du contexte sécuritaire malien. On déplore un
niveau de corruption supérieur au reste d’une région pourtant fort
touchée par ce phénomène. Le nord du Mali est une plaque tournante du trafic de
drogue vers l’Europe, notamment de la cocaïne sud-américaine. Les forces armées
maliennes, essentiellement originaires du sud du pays, sont inadaptées et
montrent leurs limites lorsqu’elles sont envoyées dans les régions désertiques
septentrionales qu’elles ne connaissent pas.Enfin, l’attitude du Président de la République, Amadou
Toumani Touré, concentre les critiques. Celles-ci vont de la simple apathie à
des accusations faisant état d’un « pacte » conclu entre le chef de
l’Etat et AQMI. L’honnêteté oblige à nuancer ces reproches. De plus, le très
faible niveau de développement de l’Etat malien, combiné à la division
historique entre le Sud, contrôlé par Bamako, et le Nord, en proie aux révoltes
touareg depuis l’indépendance, rend difficile la conduite de toute opération
militaire efficace.Par ailleurs, le Mali ne s’accroche pas, contre toute
raison, à sa souveraineté: il a récemment accepté l’intrusion d’armées
étrangères, en l’occurrence mauritanienne, sur son territoire, pour poursuivre
des terroristes.Enfin, s’agissant des critiques visant le Président Touré, de
fortes nuances doivent être apportées. Tout d’abord, la décision de nommer un
nouveau ministre des affaires étrangères, Soumeylou Boubèye Maïga, en avril
2011, a convaincu les Occidentaux que l’Etat malien avait choisi de
prendre en charge plus frontalement la lutte contre AQMI. Ensuite, le Mali a
choisi de se doter d’un plan de développement pour rapprocher le Nord du niveau
atteint par le reste du pays. Surtout, la politique malienne est contrainte par
la question touareg: avant même que n’éclate à nouveau la rébellion, il était
risqué de lancer des offensives militaires dans une région peu intégrée à
l’ensemble du territoire malien. Il est inenvisageable, aujourd’hui, pour
le Mali de combattre 2 fronts simultanés, un contre AQMI et l’autre contre les
rebelles touareg. En tout état de cause, 2012 va être une année charnière pour
le Mali. La crise touareg, mais aussi l’élection présidentielle prévue, pour
l’instant, à la fin du mois d’avril – et à laquelle le Président Amadou Toumani
Touré ne pourra participer en vertu de la Constitution – vont
déterminer l’avenir du pays et sa capacité à faire face au défi
terroriste.
Une
meilleure coopération régionale dans le domaine de la sécurité. Elle est indispensable
AQMI se joue des frontières. Les Etats sahéliens doivent combattre cette
organisation, mais ils ne peuvent le faire tout seuls. La coopération dans le
domaine de la sécurité est donc un enjeu majeur pour l’avenir de la région et
il apparaît que la menace d’AQMI a provoqué une prise de conscience et des
comportements nouveaux parmi les acteurs régionaux. Ces initiatives locales
sont, cependant, loin d’être suffisantes et doivent être soutenues par la
communauté internationale, laquelle mène déjà plusieurs initiatives en ce sens.
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