lundi 17 décembre 2012

«ATT s’est joué de l’Algérie au point de l’insulter à plusieurs reprises»

Ibrahim Boubacar Keïta. Président de l’alliance IBK-2012

 


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Ancien Premier ministre, ancien président du Parlement et ex-président de l’Adema, devenu la bête noire de l’opposition, Ibrahim Boubacar Keïta, que les proches appellent IBK, est à la tête d’une alliance qui porte son nom : Alliance IBK-2012.

Bamako (Mali). De notre envoyée spéciale

- Vous êtes parmi les plus fervents défenseurs des concertations, pourtant certains partis politiques affirment que telles qu’elles ont été préparées, elles ne pourront pas atteindre leur objectif. Qu’en dites-vous ?

J’étais partisan de ces concertations parce que du point de vue du droit, le cadre imposé par la Cédéao ne reflétait pas le souci d’une quelconque résolution de la crise malienne. La période de 40 jours prévue par la Constitution, en attendant les élections, a été écartée. Il est raisonnable et logique, pour un apaisement souhaitable, que les forces de la nation se réunissent pour apprécier la situation et mettre en place une feuille de route pour sortir de la crise. Mais la Cédéao a imposé une transition de 12 mois, avec un président et un Premier ministre intérimaires. Malgré cela, nous avions souhaité que durant les 40 jours, il puisse y avoir un dialogue interne et s’entendre sur une décision consensuelle. Or, cela n’a pas eu lieu. Nous sommes actuellement dans des négociations et des compromis de pouvoir. Aucun de ceux qui sont actuellement aux commandes du pays n’a une légitimité réelle. La seule force organisée, c’est ce qui reste de l’armée malienne, à sa tête le capitaine Sanogo qui, faut-il le préciser, jouit d’une grande estime de la part du peuple.

- Le FDR estime que ces concertations sont biaisées à partir du moment qu’elles ne sont pas inclusives et n’ont pas respecté les principes fondamentaux…

Le FDR s’est exclu de lui-même. Ses composantes sont connues, des proches de ATT de l’Adema, le parti qui a une grande responsabilité dans la tragédie. Ces gens prennent le Mali en otage pour l’empêcher d’avancer. Ils auraient été les premiers à applaudir si le climat leur était favorable. Ils veulent que le pays reste dans cette situation. Le chef de l’Etat par intérim est le président de l’Adema, et jusqu’à présent, il n’a pas démissionné de ce poste.

- Ne pensez-vous pas que cette volonté de prolonger la transition est due au fait que la Cédéao a obligé ceux qui dirigent le pays à ne pas se présenter aux élections ?

La Cédéao a donné un délai de 12 mois pour les élections, et c’est elle qui a décidé de la clause de la non-éligibilité des responsables. Le Premier ministre est aujourd’hui très contesté non seulement au niveau national, mais aussi sur le plan international. Sur les 32 membres du gouvernement, 22 faisaient partie de l’ancien régime. Lorsque ce même Premier ministre parcourt le monde sans informer le chef de l’Etat de ses déplacements, à quoi vous attendez-vous ? Il faut que les voix des forces nationales soient entendues pour sortir de cette situation. En réalité, le pays ne peut être remis sur les rails qu’avec des élections.

- Peuvent-elles se tenir avant la libération du Nord ou après ?

Aujourd’hui, si les choses vont dans le sens que nous souhaitons, c’est-à-dire dans le cadre d’un dialogue, les villes de Kidal et autres vont être sécurisées et peuvent prendre part au scrutin. Le Mali est victime de calculs faits ailleurs sur le timing. L’urgence pour la Cédéao étant de placer rapidement le Président et le Premier ministre, mais curieusement, pour sortir de la crise, on traîne le pas. Si l’on passe aux élections directement sans le Nord, c’est cautionner la partition du pays. La libération du Nord va prendre du temps et doit passer par des discussions dont des avancées sont déjà perceptibles avec les dernières déclarations d’Ançar Eddine et du MNLA. Si l’on arrive à sécuriser les grandes villes, tout sera possible.

- Comment, selon vous, cette région a sombré dans le chaos ?

En vérité, ce qui est arrivé était prévisible. Nous étions très vigilants par rapport à la question du Nord. En 2006, nous avions publié un communiqué dans lequel nous avions exprimé notre mécontentement contre l’accord d’Alger. Nous étions certains que les autorités algériennes étaient responsables dans leur médiation. Mais si l’on inversait les rôles, est-ce que l’Algérie demanderait assistance à un quelconque pays, dans le cas où elle fait face à des mutineries dans ses casernes ? Je ne le pense pas. L’Algérie a beau être un pays ami, mais elle sait ce que c’est l’autorité de l’Etat. Elle n’acceptera jamais de dégarnir ses bases arrière de défense pour satisfaire le diktat d’un groupe de mutins. Or, qu’est-ce qui est sorti de l’accord d’Alger ? Tout simplement le départ de l’armée des points sensibles du Nord vers le Sud. Je ne sais même pas comment qualifier cet accord. Peut-être que les juristes et les constitutionalistes pourraient le faire. Des engagements économiques ont été arrachés, alors que tout le monde savait que l’Etat malien ne pouvait les tenir, vu ses maigres moyens. Donc, quelque part, les prémices de cette rébellion étaient là. En réalité, nous avons assisté à une déliquescence de l’Etat, à une déresponsabilisation presque programmée qui ne pouvait épargner son armée. Une base aussi importante que Tessalit était la clé de voûte. Dès lors qu’elle est occupée, le reste est un boulevard. Cela a précédé le coup d’Etat du 22 mars.

- Voulez-vous dire que c’est une situation voulue ou s’agit-il d’une mauvaise gouvernance ?

Il y a eu une non-gouvernance. Quand un système est corrompu jusqu’à la moelle, quand les narcotrafiquants s’en mêlent et qu’un Boeing déverse de la cocaïne au vu et au su de tous, attendez-vous au pire. Savez-vous que la piste sur laquelle le Boeing a atterri était protégée par des éléments de l’armée, pour effacer toute trace après ? Lorsque les forces de sécurité se mettent au service de l’enrichissement, l’on ne peut plus parler de pays.

- Pensez-vous que cette rébellion était prévisible ?

Certains disaient que nous étions dans une ambiance de coup d’Etat eu égard à la violence sociale que le pays subissait. Une simple manifestation pour le pain aurait eu raison du système. Mais le souci du régime était de faire dans le clinquant, en montrant un soldat en uniforme, en se présentant comme un démocrate à l’africaine, en négociant pour la libération des otages. Le peuple malien savait ce qui se passait. Le pourrissement a atteint un tel degré que tout était possible. D’humiliation en humiliation, l’armée s’est retrouvée dans une colère intense, notamment après le massacre d’une centaine de soldats à Aguelhoc. Ces jeunes femmes ont marché sur le palais présidentiel parce que leurs enfants, leurs  pères, ou leurs maris avaient été massacrés ou livrés aux rebelles. Lorsqu’elles ont été reçues, elles ont accusé les responsables d’intelligence avec l’ennemi. C’est dans cette ambiance que le coup d’Etat a eu lieu. J’ai condamné cet acte, mais je ne suis pas dupe. Je sais qu’il a suscité un soulagement. Pas uniquement chez les Maliens, mais aussi au niveau international. Aucun pays n’a appelé au retour de ATT au pouvoir. Personne ne l’aimait, même si par la suite, la gestion de son post-départ a été malhonnête. On a fait comme si le départ de cet homme n’était pas une occasion pour notre pays de se relever et de revenir à la démocratie réelle.

- Vous voulez dire que la Cédéao a mal géré la crise après le départ de ATT en axant plus sur l’intervention militaire pour la réoccupation du Nord ?

J’ai dit que sur le plan humanitaire, les conséquences d’une telle action doivent être bien évaluées et qu’il faut demander avis à nos voisins algériens, qui ont souffert durant toute une décennie du terrorisme. J’ai même affirmé que nous devons nous retrouver avec l’Algérie pour rentabiliser ce qui nous a toujours liés à travers l’histoire. Je n’ai jamais mis en doute l’amitié et la solidarité de l’Algérie à l’égard du Mali. Lorsque j’analyse ses positions, je découvre qu’au fond elles n’ont jamais été contre l’intérêt du Mali. Quant à Alger, on me dit que nous ne sommes ni pour l’indépendance, ni pour l’autonomie, ni pour le fédéralisme, cela est une garantie absolue pour moi. Le Mali a juste besoin de moyens pour soulager son peuple des souffrances. Il faut faire très attention à l’équilibre du tissu social au niveau de nos frontières, ouvrir le débat sur cette question avant d’aller vers une quelconque tragédie. Regardons dans quel état sont les pays qui ont subi des interventions militaires étrangères. Evitons d’ouvrir plusieurs fronts en même temps et réfléchissons d’abord avec qui doit-on dialoguer afin de savoir qui est qui. Je sais que tout est fait pour arriver à la solution militaire, aujourd’hui, la communauté internationale commence à se réviser. Il n’y a qu’à lire le rapport de l’ONU qui dit que les conditions d’une telle action ne sont pas réunies, que ce soit sur le plan humanitaire, logistique, financier, etc. Les pays amis ont promis d’aider l’armée malienne et l’Algérie a déjà commencé à le faire. Certains s’impatientent de voir les militaires au Nord, mais il faut des préalables et du temps. Maintenant que toutes les failles du concept de la Cédéao sont battues en brèche, l’espoir est permis…

- Selon vous, cette intervention ne cache-t-elle pas autre chose que la libération du Nord ?

Tous les éléments d’analyse nous permettent de dire qu’il y a des enjeux économiques. Nous savons très bien que la géophysique de la région est au cœur de tous les conflits. Ces mêmes enjeux qui ont poussé la France à vouloir couper l’Algérie de son Sud, avant l’indépendance.

- Certains affirment que la Cédéao sous-traite pour des puissances étrangères la reconfiguration géopolitique de la région. Etes-vous d’accord ?

Quand je dis que la position de l’Algérie est très responsable, c’est parce que nous savons qu’elle n’acceptera jamais une telle reconfiguration. Nous connaissons très bien ces enjeux et les velléités qui visent le Mali. A l’indépendance du Sud-Soudan, j’avais dit que ce jour n’était pas un jour de bonheur. De nombreux Etats africains ont éclaté et d’autres sont sur le point de l’être. Le mépris pour nos peuples demeure. Nous ne sommes acceptables que dominés. Et c’est dans cette optique que le Mali et plus tard l’Algérie risquent de se voir visés par des politiques de partition. Toutes les richesses sur lesquelles ces puissances ont bâti leurs pays viennent de chez nous, de l’Afrique. Ce sera très difficile pour elles de s’en détacher.

- L’Algérie est accusée par certains politiques de n’avoir rien fait ou peu. Comment trouvez-vous la position algérienne ?

ATT s’est joué de l’Algérie au point de l’insulter à plusieurs reprises à travers sa gestion des otages allemands, ou encore lors de la libération des terroristes algériens. Pourtant, lors de sa dernière visite à Alger, le tapis rouge a été déroulé. Le président Bouteflika a exaucé toutes ses demandes, cela va de l’armement à l’aide humanitaire. Sincèrement, pensez-vous que l’Algérie a intérêt à laisser le Mali dans une aventure aussi dangereuse ? Je ne le pense pas. Il n’y a aucune ambiguïté dans la position algérienne. Ce n’est pas par hasard qu’une puissance comme les USA n’est pas sur le même plan que la Cédéao et nous demande de garder et d’aller rapidement aux élections pour désigner ceux qui vont discuter et avec qui reprendre la coopération militaire.

 

Salima Tlemçani

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