mercredi 29 février 2012

Interview de M. Soumana Sako, ancien Premier Ministre du Mali (19 février 2012)

M. le Premier Ministre, vous avez été Premier Ministre dans les années 1991-1992 au moment où il y avait une autre rébellion touarègue. Comment expliquez-vous la résurgence de cette rébellion ? Il faut dire que la rébellion touarègue des années 90-91 qui a été réglée par le Pacte National du 11 avril 92, n’est pas exactement comparable à la crise que nous vivons aujourd’hui dans le nord. A l’époque il s’agissait d’une nouvelle manifestation de ce qu’on a appelé l’irrédentisme touareg, qui revient de temps à autre et qui est né surtout à la fin des années 1950, à l’approche des indépendances, à l’instigation de l’ancienne puissance coloniale. Il faut dire les choses telles qu’elles se sont passées. Il y avait notamment ce projet de création de l’Organisation Commune des Régions Sahéliennes (Ocrs) qui est un peu l’origine politique de cet irrédentisme touareg. Lequel a ressurgi en 63-64, sous la 1ère République et ensuite en 1990 sous l’ancien régime. A l’époque, le régime de Moussa Traoré avait tenté la solution militaire avec des fortunes diverses contre ceux qu’il désignait sous l’étiquette de ‘’ bandits armés’’. Ce qui a débouché sur les accords de Tamanrassett en janvier 91, juste avant la chute de Moussa Traoré. Ces accords de Tamanrassett proposaient la décentralisation comme formule politico-administrative de gestion de cette région du nord. Mais ces accords n’ont pas mis fin à cette rébellion parce qu’il s’est trouvé des groupes qui se sont démarqués desdits accords et qui ont donc repris les combats ; sans compter ce front qui s’est ouvert vers la frontière mauritanienne avec les arabes sous l’appellation de Front Islamique Arabe de l’Azawad (FIA) Quel était le contenu de ces accords de Tamanrassett ? Ils s’appuyaient surtout sur la décentralisation territoriale parce que pour Moussa Traoré, il n’était pas question d’accorder l’indépendance à ces Touaregs qui sont d’ailleurs démographiquement minoritaires dans cette zone. La décentralisation donc, pour leur donner une certaine autonomie dans la gestion des affaires locales. C’est une solution qui n’était pas du goût de tout le monde, côté touareg. Donc les combats ont continué et même sous la Transition alors que nous avions pensé que le nouveau contexte démocratique issu de la Révolution du 26 mars 1991 était propice à la gestion pacifique et négociée de tout conflit interne. Nous avons à l’époque, privilégié la solution politique. Nous avons fait appel à des facilitateurs étrangers dont Edgar Pisani, ancien ministre français et ancien Commissaire européen au Développement et Baba Miské, ancien ministre des Affaires Etrangères de Mauritanie ainsi qu’à la médiation algérienne. C’est tout cela qui, appuyé par une forte mobilisation de la société civile, a abouti à la signature du Pacte National le 11 avril 1992 à Bamako, à la veille du 1er tour de l’élection présidentielle organisé le lendemain 12 avril 1992. Le Pacte National prévoyait une solution politique à travers la décentralisation mais en la poussant à un stade beaucoup plus avancé que les accords de Tamanrasssett, diverses mesures d’intégration des ex-rebelles dans l’Armée et dans d’autres structures de l’Etat ainsi que des programmes de développement pour les zones du nord. Il y avait cette double problématique. Politique d’abord, savoir, quelle réponse institutionnelle donner à l’irrédentisme touareg, étant bien entendu que la partition du pays est hors de question ? L’autre volet était un problème de gouvernance économique. Donc il fallait mettre en œuvre beaucoup de projets de développement économique et social dans cette zone. Malheureusement, le Pacte National sitôt signé, c’était le changement de régime avec l’avènement de la 3è République le 8 juin 1992. Les combats ont encore repris. Le Gouvernement d’ Alpha Oumar Konaré a cru devoir trouver la solution dans l’organisation de la ‘’flamme de la paix’’ en 1996 au cours de laquelle des armes sensées avoir été remises par des rebelles touaregs ont été brûlées en présence de Chefs d’Etat et autres dignitaires étrangers pour sceller la fin de la rébellion, la fin des combats armés. Mais, comme vous le savez, les mouvements rebelles ne sont jamais des mouvements homogènes. Il y a toujours des éléments plus radicaux que les autres qui ne sont jamais satisfaits de ce qui se négocie et qui reprennent les armes. Evidemment les projets de développement ne peuvent pas se mettre en œuvre dans un tel climat d’insécurité. On assiste dès lors à un cercle vicieux où certains éléments extrémistes créent l’insécurité et mettent celle-ci à profit pour se plaindre en disant : ils nous ont promis des projets de développement mais voilà, il n’y a pas de développement, donc il nous faut reprendre les combats ! Qu’est-ce qui a changé, selon vous ? Il faut comprendre que la crise actuelle n’est pas exactement comparable dans ses origines à celle de 1963/1965 ni à celle de 1990/1991 ou de 1993/1996. La crise qui a éclaté le 17 janvier 2012 avec l’attaque d’Aguelhoc résulte de la sédimentation et de l’enchevêtrement de quatre facteurs principaux. Le 1er est lié à l’origine historique de cette crise avec ce mouvement irrédentiste né à l’occasion du processus de décolonisation et qui refait surface de temps à autre. Le 2è facteur, ce sont les éléments d’Aqmi. Le Gouvernement malien a commis l’erreur de laisser Aqmi s’installer dans cette zone. Aqmi, c’est essentiellement d’ anciens éléments des ex-GIAet GSPC algériens qui, matés par l’armée algérienne, ont trouvé refuge et sanctuaire en territoire malien. Vous savez que le Mali a été accusé, à tort ou à raison, d’être le maillon faible de la lutte contre le terrorisme. Le 3è facteur, ce sont les conséquences de la crise libyenne. On nous dit que ce sont des touaregs libyens, d’origine malienne, qui étaient engagés sous les drapeaux libyens aux côtés du colonel Kadhafi et qui, avec la chute de son régime, se sont retournés au pays, pour ainsi dire, mais avec des armes lourdes. Alors que le Niger a désarmé les touaregs qui revenaient chez lui, le Mali, apparemment, n’a pas fait de même, ce qui fut une grosse erreur d’appréciation commise par le Gouvernement malien. Nous disons qu’il ne faut pas laisser ses citoyens aller en mercenaires servir sous des drapeaux étrangers dans une guerre qui n’est pas la leur et leur permettre de revenir au Mali comme si de rien n’était. Dans tous les cas, le Gouvernement malien n’aurait pas dû laisser ces combattants d’origine ‘’malienne’’ revenir sur le territoire avec des armes lourdes. Il fallait les désarmer, les cantonner, puis procéder à un tri, d’autant plus que nous apprenons aujourd’hui que, parmi eux, il y aurait des Tchadiens et même des Afghans, voire des Philippins. Le 4è facteur, c’est tous ces réseaux de trafiquants en tous genres : narco trafics, trafics d’armes, d’êtres humains, liés ou non à Aqmi, avec beaucoup de complicités internes et externes, que le Gouvernement a laissé fleurir dans le nord. A ces quatre facteurs essentiels, il convient d’ajouter le fait que la société touareg, en pleines mutations, est traversée par plusieurs contradictions internes opposant, par exemple, les anciennes féodalités ancestrales et les jeunes qui cherchent à s’affranchir d’une sorte de mal-vie et de la chape de plomb des pesanteurs sociologiques et sociopolitiques locales. J’estime qu’il faut toute une batterie de mesures à la fois d’ordre sécuritaire, politique et de progrès socio-économique. Ainsi, il faut renforcer la présence des Forces armées et de sécurité dans cette zone pour marquer la présence de l’Etat afin d’assurer la tranquillité de la population dans sa diversité ethnique. Mais la seule solution militaire ne suffit pas. Il faut aussi une approche politique et je dirais, développementale et même économique. Il faut aider la société touarègue à gérer ses contradictions internes en faveur des jeunes générations qui veulent s’affranchir de la tutelle des féodalités traditionnelles dont certains éléments semblent être liés aux réseaux de trafics illicites. Il y a certainement une dimension sous-régionale, voire internationale. Parce que cette bande sahélo-saharienne concerne directement cinq pays : le Mali, l’Algérie, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Il faut donc une approche concertée d’autant plus qu’on nous dit qu’Aqmi renfermerait aussi quelques éléments de l’ancien régime mauritanien. On évoque souvent des interférences de la part de l’ancienne puissance coloniale. Historiquement, dans les années 50, notamment avec le projet de création de l’Ocrs, l’ancienne puissance coloniale est à l’origine de l’irrédentisme politique Touareg. Cela, on ne peut pas le nier. Les touaregs, en tant qu’ethnie, avait à l’époque un mode de vie basé sur le razzia : descendre sur le sud pour se ravitailler, remonter dans le nord, revenir, et ainsi de suite. Mais la revendication politique de souveraineté d’Etat sur un territoire, on n’en avait jamais entendu parler avant le milieu des années 1950 et le début du processus de décolonisation de l’ex-Afrique occidentale française. Au surplus, la coïncidence entre la création du Franc malien en 1962 et le déclenchement de la rébellion indépendantiste touareg en 1963 n’est pas forcément fortuite. Maintenant est-ce que la France intervient dans la situation actuelle ? Il y a eu des propos tenus par Alain Juppé, Ministre français des Affaires Etrangères, qui ont soulevé beaucoup d’émotion au Mali et qui ont été perçus comme une sorte de complicité tacite entre la France et les mouvements rebelles et ce, d’autant plus que certains de leurs émissaires ont été reçus par les autorités françaises. La France qui voit en Aqmi, mouvement terroriste, une menace se dit probablement que si le Gouvernement malien ne peut pas ou ne veut pas faire le ménage vis-à-vis d’Aqmi et qu’il y a d’autres forces qui se proposent de le faire à la place du Gouvernement malien, pourquoi pas ? Peut-être que la France est tentée de soutenir ce mouvement rebelle dans la mesure où ce dernier essaie de se présenter comme une force contre Aqmi. Mais je ne pense pas que la France soit à ce point aveuglée par des intérêts à court terme qu’elle commettrait l’erreur stratégique de soutenir des velléités indépendantistes touareg qui menaceraient la sécurité et la stabilité à long terme de l’ensemble de la bande sahélo-saharienne, voire de l’arc de crise allant de la Somalie à l’Atlantique, avec tous les risques que cela impliquerait pour le monde occidental lui-même. Et puis, il est vrai qu’on a toujours parlé de pétrole dans le nord du Mali, surtout maintenant avec le pétrole au Niger, en Mauritanie et en Algérie. C’est après tout la même zone sahélo-saharienne avec les mêmes structures géologiques. Il n’y a donc pas de raison qu’il n’y ait pas de pétrole dans la région nord du Mali qui puisse attiser certains appétits. Cela dit, il convient de ne pas surestimer le rôle de la France ni sa capacité d’action autonome dans cette crise. Qu’elle se sente concernée ou intéressée par tout ce qui se passe dans la bande sahélo-saharienne, soit, mais de là à conclure que c’est la France qui tire les ficelles, je n’en suis pas convaincu. La France est pour un dialogue politique, alors que le Mali semble avoir choisi la voie militaire. Il n’est pas exact de dire que le Gouvernement ne veut pas dialoguer. Avec l’entremise de l’Algérie, une concertation a eu lieu à Alger à laquelle le Mnla n’a pas daigné participer. Mais je ne suis pas sûr que le Gouvernement malien ait décidé de privilégier uniquement l’approche militaire, même si l’opinion publique nationale pousse largement dans cette direction. Il faut une batterie de mesures militaires, sécuritaires, politiques et développementales. Il faut une action sous-régionale concertée et tenir compte également des intérêts des puissances étrangères. Que le Gouvernement malien préserve et conserve la maitrise de la gestion de la crise même lorsqu’il fait appel à la coopération entre pays de la bande sahélo-saharienne. Si nous laissons des puissances extra africaines se mêler de la gestion de la crise, même si ce sont les Nations Unies, ces interférences extra africaines que nous craignons viendront créer d’autres problèmes pour la souveraineté de nos Etats et la coopération intra-africaine. Interview réalisée au Mali par SYLVAIN NAMOYA journaliste à Fraternité Matin (Côte d’Ivoire) 19 février 2012 ************* Tél: (+223) 20 29 01 02 Email: info@zou2012.com Web: www.zou2012.com Hamdallaye Bamako LE MALI POUR TOUS, DES CHANCES EGALES POUR CHACUN !

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