mardi 14 février 2012

IBK à JEUNE AFRIQUE

Face à la résurgence de l'insurrection touarègue, Ibrahim Boubakar Keïta, le candidat du Rassemblement pour le Mali (RPM) à la présidentielle d'avril préconise l'organisation d'un dialogue national sur la situation dans le Nord. Son objectif est de restaurer l'autorité de l'État. Interview. À 67 ans, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est un obstiné. Le président du Rassemblement pour le Mali (RPM) sera candidat à l'élection présidentielle d'avril prochain ; ce sera la troisième fois. Celui qui a été le Premier ministre d'Alpha Oumar Konaré (de 1994 à 2000) puis le président de l'Assemblée nationale (de 2002 à 2007) lors du premier mandat d'Amadou Toumani Touré (ATT) dispose de l'un des CV les plus étoffés de la classe politique malienne. Cependant, pour gravir la dernière marche, d'autres ingrédients sont nécessaires : implantation nationale, large assise populaire, soutiens massifs des faiseurs de roi... IBK dispose-t-il, cette fois, de tous ces atouts ? Ce n'est pas sûr. Mais cela ne doit pas l'empêcher de tenter sa chance, dans la mesure où le départ d'ATT du palais de Koulouba va entraîner une recomposition politique. Dans ce contexte, le profil d'IBK présente bien des avantages. Sa longue expérience peut rassurer, son âge n'est pas de nature à effrayer les jeunes pousses ambitieuses et sa position d'opposant lui permet de jouer la rupture. C'est donc un homme confiant qui nous a reçu à son domicile de Bamako. Jeune Afrique : Vous êtes candidat à l'élection présidentielle pour la troisième fois consécutive. Qu'est-ce qui vous fait croire que ce sera la bonne ? Ibrahim Boubacar Keïta : L'eau du fleuve n'est jamais la même, et je peux dire sans hésiter que le blé est bel et bien mûr : 2012 ne ressemblera pas aux échéances précédentes. Le 14 janvier, au stade Modibo-Keita de Bamako plein comme un oeuf, j'ai vu un peuple debout pour soutenir ma candidature. Il y avait pourtant toutes les raisons de penser que les dysfonctionnements électoraux passés entraîneraient un désintérêt des Maliens pour la politique. Eh bien non ! L'attente est énorme. La population nous dit : « Nous avons faim, nos enfants ne vont pas à l'école, nous ne sommes pas soignés, nous voulons un État dont l'autorité est enfin restaurée. » Il n'empêche, pour bon nombre d'observateurs, Soumaïla Cissé et Dioncounda Traoré sont les deux favoris de l'élection. Pas vous... Une élection présidentielle est avant tout la rencontre entre un homme et son peuple, ce n'est pas une question d'appareil politique. Lorsque je suis sur le terrain, l'engouement que je constate m'amène à penser que je ne suis pas le moins populaire des candidats. Quant à mon cadet Soumaïla Cissé et à mon aîné Dioncounda Traoré, ce sont deux hommes de qualité qui ont tous deux travaillé sous mon autorité lorsque j'étais Premier ministre et avec lesquels j'entretiens d'excellentes relations. Le peuple malien nous départagera sur la base de nos personnalités et de nos projets respectifs. La résurgence d'une nouvelle rébellion touarègue trois mois avant l'élection présidentielle vous inquiète-t-elle ? Je m'incline avant tout devant la mémoire des disparus, et je salue le courage de nos troupes sur le terrain. C'est une rébellion de trop, qui ruine les efforts entrepris pour développer cette partie du pays. Elle prend sa source dans la faiblesse de l'État et la dissémination d'armes depuis la fin de la guerre en Libye. Cela dit, pour moi, le Mali est un et indivisible, raison pour laquelle j'ai appelé à l'unité nationale derrière un front républicain. Il est plus que jamais nécessaire de mettre en oeuvre un grand dialogue national associant toutes les composantes communautaires du Nord-Mali, les forces politiques et chefferies traditionnelles, l'administration locale et centrale, des experts et représentants de la société civile. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé l'organisation d'assises nationales du Nord. Elles nous permettront de nous comprendre, de redéfinir les contours de l'État pour mieux l'adapter aux besoins des populations et faire en sorte que chacun participe à la gouvernance. Si je suis élu, je proposerai également une loi de programmation militaire afin que nos forces armées soient en mesure de rétablir la sécurité et l'autorité de l'État face aux diverses menaces auxquelles nous devons faire face, notamment Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique, NDLR]. Il faut un engagement vigoureux en faveur de la paix. Certains me traitent de va-t-en-guerre. Je ne le suis pas. Mais qui veut la paix prépare la guerre. Quel bilan faites-vous des deux mandats du président sortant, Amadou Toumani Touré (ATT) ? Il y avait beaucoup de chantiers et peu de moyens. Avec beaucoup de conviction, il a créé un cadre de dialogue entre les responsables politiques. Il a aussi poursuivi l'effort de désenclavement du pays. Voilà pour les acquis. Mais l'école reste par exemple un sujet d'inquiétude. Nous sommes tous responsables de cette situation, moi y compris en tant qu'ancien chef du gouvernement. Je suis également préoccupé par la question de l'autorité de l'État. Le référent absolu doit être la loi. Ce n'est pas le cas ; or nos peuples n'aiment pas être spoliés. Sur le plan économique, le taux de croissance est certes positif, mais il n'est pas suffisant pour hisser notre pays à un niveau de développement humain satisfaisant. Quelles sont vos solutions ? Je ne suis pas Zorro. Mais nous allons lutter résolument contre la corruption. Le président ATT a mis en place le vérificateur général qui, bon an, mal an, a permis d'évaluer le niveau de corruption. Mais il faut aller plus loin. Quand nous serons aux affaires, la justice fera son travail, sans intrusions du pouvoir central, face aux pilleurs de l'économie. Les ressources péniblement acquises pour le développement du pays ne doivent plus profiter à des intérêts personnels. Soumaïla Cissé et Dioncounda Traoré ont travaillé sous mon autorité. Le peuple choisira. Quelles seront vos priorités en cas de victoire ? La priorité est la sécurité alimentaire. Nous allons faire des prévisions plus fines dans la gestion des stocks et les rapprocher des zones traditionnellement déficitaires pour favoriser un ravitaillement plus efficace. En outre, il faut améliorer la maintenance des systèmes d'irrigation. En ce qui concerne la santé, il est intolérable que 10 000 enfants meurent chaque année, en grande partie à cause du paludisme. Chaque foyer doit disposer d'une moustiquaire imprégnée. Pour l'éducation, je propose que l'école soit obligatoire jusqu'à 16 ans, que chaque étudiant soit doté d'un ordinateur et qu'une université soit construite dans chaque région. Contre le chômage, je compte créer 350 000 emplois en cinq ans. J'ai également un plan sur dix ans dans les technologies de la communication et un autre pour la relance du tourisme. Êtes-vous favorable au code de la famille récemment adopté, mais rejeté par les associations féministes ? Le Mali est islamisé depuis le XIe siècle. Aucun chef religieux n'a jamais souhaité la mise en place d'un État islamique avec une application stricte de la charia et des barbus imposant leur loi. Alors, de grâce, que l'on accepte que ces chefs religieux aient leur mot à dire sur les sujets de société. Dans le cas contraire, comment créer une cohésion nationale si les bases de la société sont rejetées par le plus grand nombre car jugées non conformes aux prescriptions du Coran ? Le Mali ne tourne pas le dos au développement. Notre code est un code islamique réaliste. Je ne crois pas qu'il dénie des droits aux femmes. En ce qui concerne les associations féministes, nous sommes en démocratie et chacun est libre d'exprimer ses opinions. Vous m'avez demandé la mienne, je vous l'ai donnée. Quel jugement portez-vous sur le transfert de votre ami Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI) ? Je suis un homme d'honneur, je ne renie jamais mes amitiés. J'ai connu Gbagbo sur les bancs de l'université, en France. Ce n'est pas son infortune qui va détruire cette amitié. Et cette relation n'a aucune incidence sur la fraternité vive qui me lie à Alassane Ouattara, mon aîné. Ce que j'ai pu dire à Gbagbo pendant la crise postélectorale en Côte d'Ivoire nous appartient. Dieu en est témoin. Quant à son transfert à la CPI, l'Histoire jugera.

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