vendredi 4 novembre 2011

Mali: Belle croissance menacée par la démographie

Pour l’économie malienne, tous les feux sont au vert ou presque. « La croissance y est stable à 5,7 % en moyenne depuis 2005, constate Jan Walliser, responsable gestion macroéconomique pour le Nigeria, le Sahel et l’Afrique centrale à la Banque mondiale. Le déficit budgétaire est soutenable. Bien utilisées, les réserves d’or peuvent permettre de diversifier l’économie. Toutefois, le Mali demeure très dépendant de l’aide extérieure. » Même optimisme mesuré pour Hervé Bougault, directeur de l’antenne bamakoise de l’Agence française de développement, qui constate que « l’État paie impeccablement sa dette extérieure », que « le pays va redevenir cette année le premier producteur de coton d’Afrique subsaharienne grâce à une météo favorable », et conclut : « Le Mali peut se targuer d’avoir la meilleure et la plus stable des croissances de la zone UEMOA [Union économique et monétaire ouest-africaine, NDLR], mais il demeure l’un de ses pays les plus pauvres. » L’année 2011 devrait effectivement être excellente, avec une croissance qui pourrait friser les 6 % grâce à la reprise des ventes d’or et aux 500 000 tonnes de coton attendues, contre 240 000 t lors de la dernière campagne. Les pluies abondantes ont fait bondir de 16,1 % la production agricole totale. Inflation sage fluctuant autour de 3 %, dette contenue à 27 % du PIB (après avoir connu un taux de 100 %), déficit budgétaire en partie compensé par la privatisation de la compagnie de télécoms Sotelma pour 180,3 milliards de F CFA (275 millions d’euros), amélioration des rentrées fiscales par la mise en place d’une taxe sur les plus-values foncières au second semestre 2011, balance des paiements excédentaire à partir de 2012 selon les prévisions… Les signes de bonne santé sont nombreux. Le marché du travail devra accueillir 300 000 jeunes supplémentaires par an à l'horizon 2030 Mais ils ne suffisent pas à rassurer sur l’avenir du Mali, qui risque fort d’être asphyxié par sa démographie galopante. Sous l’effet d’un taux de croissance de 3,6 % de 1998 à 2009, sa population devrait passer de 15,2 millions d’habitants à 30 millions en 2030. Les moins de 15 ans représentant la moitié de la population actuelle, c’est une marée de jeunes qui arrivera sur un marché du travail anémique, lequel devra accueillir 300 000 deman¬deurs d’emploi supplémentaires par an en 2030. Cet afflux nécessiterait d’abord d’énormes efforts budgétaires en matière de scolarisation et de formation que le Mali n’est pas en état de fournir. Il faudrait une croissance économique de 8 % l’an au minimum pour absorber ce bond démographique. Autre défi : l’urbanisation débridée (Bamako comptera 5 millions d’habitants en 2030), qui empêche les pouvoirs publics de suivre le mouvement avec des infrastructures adaptées en matière d’assainissement, d’eau et de transport. Des problèmes d’insécurité du même type qu’au Nigeria pourraient résulter du cocktail explosif de la montée de la pauvreté urbaine et du chômage des jeunes. Dans ces conditions, on voit mal comment le Mali pourrait se passer des aides multilatérales et bilatérales massives qui représentent un quart du budget de l’État et 80 % des investissements publics. Proportions mal¬saines, car elles anesthésient les capacités d’initiative gouvernementales. Si les autorités maliennes veulent éviter une catastrophe économique et sociale annoncée, il est temps qu’elles se projettent sur vingt ans, tant leur marge de manœuvre est étroite par manque de moyens. Le développement des cultures vivrières et d’exportation est incontournable. L’agriculture occupe toujours les deux tiers de la population active. Or le Mali exploite seulement 3,2 millions d’hectares, alors que les terres cultivables recensées sont treize fois plus étendues. Les investissements devront en priorité aller à une utilisation plus intense et plus rationnelle des ressources en eau. Par ailleurs, au moment où la Chine voit ses coûts de main-d’œuvre augmenter rapidement, la Banque mondiale étudie la possibilité pour le Mali de se substituer à celle-ci pour la fabrication de biens de consommation requérant des technologies simples, comme l’habillement ou les chaussures. De la multiplication de ces réalisations modestes dépend une création de richesse sans laquelle ni le marché de l’emploi ni les services publics ne seront à la hauteur des besoins. Faute de quoi, l’émigration pourrait être le seul exutoire à la désespérance.

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